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[meneau]
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Si l’on veut examiner ces meneaux avec attention, on reconnaîtra que tous les points faibles, ceux qui doivent subir les plus fortes pressions, sont étayés ou étrésillonnés par des courbes qui tendent à rendre tous les membres solidaires ; que ces courbes sont tracées en raison de la véritable direction des pressions, de manière à décomposer celles qui sont obliques et à les ramener à des pesanteurs agissant verticalement ; que les joints d’appareil sont coupés perpendiculairement à la direction de ces pressions, afin d’éviter les joints maigres, sujets à glisser ou à causer des brisures. Nous n’avons pas pour ce genre d’architecture un goût bien vif, mais il nous est impossible de ne pas reconnaître là l’œuvre de constructeurs très-expérimentés, très-savants, logiques jusqu’à l’excès et chez lesquels la fantaisie ou le hasard n’avait pas de prise. Quand l’abus d’un principe conduit à de pareilles conceptions, il faut déplorer l’abus, mais il faut équitablement constater la valeur du principe et tâcher d’en tirer profit en évitant ses excès. Ces gens-là connaissaient à fond les ressources de leur art, ne faisaient toute chose que guidés par leur raison. Il ne nous appartient pas aujourd’hui de leur jeter la pierre, nous qui, possesseurs de matériaux variés et excellents, ne savons pas en tirer parti, et qui montrons notre insuffisance lorsqu’il s’agit de combinaisons de ce genre en architecture. Dans ce dernier exemple, les meneaux verticaux sont d’une seule pièce chacun, de l’appui à la naissance des courbes. La barre G traverse la tête de ces meneaux et maintient les sommiers de la claire-voie au moyen de goujons en os[1]. Quant aux barres H, ce sont des barlotières simplement engagées d’un centimètre ou deux dans les montants. Des vergettes maintenaient les panneaux des vitraux engagés dans les feuillures I. Les barres et barlotières, ainsi que les tringles e, sont garnies de pitons et de clavettes. Les architectes du XVe siècle se fiaient si bien à la combinaison de leurs meneaux qu’ils les taillèrent souvent dans de la pierre demi-dure, dans du banc royal, par exemple. Il faut dire aussi qu’ils leur donnaient une section relativement plus forte que celle adoptée pour les meneaux du XIVe siècle, qui sont toujours les plus délicats. Ces compartiments de meneaux furent conservés jusque vers le milieu du XVIe siècle. Cependant, à l’époque de la Renaissance, quelques tentatives furent faites pour mettre les meneaux en harmonie avec les nouvelles formes de l’architecture en vogue à cette époque. Témoin certains des meneaux de l’église de la Ferté-Bernard, qui présentent le plus singulier mélange des traditions du moyen âge et de réminiscences de l’antiquité romaine. On croirait voir des arabesques de Pompéii exécutées en pierre.

  1. À dater du XVe siècle, les constructeurs qui avaient eu l’occasion de constater combien les goujons en fer, en gonflant par suite de l’oxydation, étaient préjudiciables aux travaux de pierre et les faisaient éclater, remplacèrent ces goujons de métal par des goujons en os de mouton ou en corne de cerf. Ces derniers ont conservé toute leur dureté.