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[manoir]
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destinés à l’exploitation, entourés de fossés, avec logis principal pour l’habitation du propriétaire. Les villæ des rois de la première race étaient plutôt des manoirs que des châteaux, et, jusqu’au XVIe siècle, les grands seigneurs suzerains en France, outre leurs châteaux, qui étaient de véritables places fortes, se plaisaient à élever des maisons de plaisance pour se livrer au plaisir de la chasse, ou pour se retirer pendant un certain temps ; ces maisons peuvent être considérées comme des manoirs. Beaucoup d’abbayes royales possédaient dans leur enclos des manoirs où les princes venaient se reposer des affaires (voy. Architecture Monastique). La maison de plaisance de Bicêtre, près Paris, ou plutôt de Vincestre[1], qui fut brûlée par le peuple en 1411, était un grand manoir plutôt qu’un château, bien qu’elle possédait une tour[2]. Sous les rois de la troisième race, Fontainebleau, Blois étaient de même, de grandes maisons de plaisance qui avaient les caractères du manoir.

L’Angleterre a conservé un nombre assez considérable de ces maisons de campagne des XIIIe, XIVe et XVe siècles ; mais en France nous n’en connaissons pas qui soient entières et qui remontent au-delà du XVe siècle. Le manoir, proprement dit, contenait toujours une salle, comme le château, et en Angleterre la dénomination de manor-house s’est conservée. C’est qu’en effet dans ces résidences la salle est la partie importante du programme jusqu’au XVe siècle.

Au XIIe siècle, le roi Richard d’Angleterre avait à Southampton un manoir qui servait de lieu de rendez-vous au moment de l’embarquement. Ce bâtiment se composait d’une salle, d’une chapelle et d’un cellier[3]. Une chambre privée était souvent placée à côté de la salle.

Le nom de manoir est quelquefois appliqué à la maison de l’hôte, du colon, mais lorsque cette maison est entourée d’une clôture :

« Lez le bois avoit un manoir
Où un vilain soloit manoir
Qui moult avoit cos et gelines[4]. »

La disposition des manoirs, à la fin du XIIe siècle et pendant une partie du XIIIe, était la même en France et en Angleterre. L’abbaye de Saint-Maur possédait au Piple, près Boissy-Saint-Léger, un manoir d’où dépendaient vingt-deux arpents de vigne, avec deux pressoirs et sept arpents de bois. L’abbé Pierre Ier, vers le milieu du XIIIe siècle, fit rebâtir ce manoir en partie ; on y construisit, par son ordre, une chapelle, une salle avec cellier au-dessous, et un logis qui fut entouré de murs et de

  1. Parce qu’elle avait appartenu en 1204 à Jean, évêque de Vinchester. (Voy. Sauval, Antiq. de la ville de Paris, t. II, p. 72.)
  2. On voit des ruines du manoir de Bicêtre dans une gravure représentant le ballet donné par le comte de Soissons au Louvre en 1632. M. le comte Horace de Vielcastel nous a fourni de précieux renseignements à ce sujet.
  3. Voy. Domest. archit., twelfth century, par Huds. Turner, H. Parker. Oxford, 1851.
  4. Le roman du Renart, v. 8593.