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à cause de sa haine sourde pour les institutions monastiques, lesquelles, comme nous l’avons dit plus haut, avaient conservé les traditions gallo-romaines assez pures. Le moyen âge est un composé d’éléments très-divers et souvent opposés ; il est difficile, sans entrer dans de longs développements, de rendre compte des effets, étranges en apparence, qui se produisent tout à coup au sein des populations sans cesse en travail. C’est dans l’habitation du citadin et de l’homme des champs, autant que dans l’histoire politique, que l’on trouve les traces du mouvement national qui commença pendant le règne de saint Louis, et qui se continua avec une merveilleuse activité pendant les XIVe et XVe siècles, à travers ces temps d’invasions, de guerres et de misères de toutes sortes. Il semble qu’alors les habitants des villes, qui s’étaient emparés de la pratique des arts, cherchaient dans toutes les constructions à s’éloigner des traditions conservées par les couvents ; ils revenaient à la structure de bois, et se livraient aux combinaisons hardies que permet la charpente ; ils ouvraient de plus en plus les façades de leurs maisons, de manière à composer les rues de devantures à jour qui semblaient faites pour rendre la vie de tous les citadins commune. Il résultait nécessairement de ce voisinage intime une solidarité plus complète entre les citoyens ; sans être obligés de descendre sur la voie publique, ils pouvaient s’entendre, se concerter. Dans certaines rues du XIVe siècle, les habitants des maisons formaient un conciliabule en ouvrant leurs fenêtres. Ce besoin politique, cette entente nécessitée par l’état de lutte de la classe bourgeoise contre les pouvoirs cléricaux et séculiers, explique ces dispositions, qui nous paraissent si bizarres aujourd’hui, de maisons qui, quoique très-ouvertes sur leurs façades, forment des ruelles impénétrables, qui se touchent presque au faîte, en laissant à leur base une circulation très-facile à intercepter. La grande question pour la cité alors, c’était la concentration, la réunion des moyens, l’entente complète à un moment donné ; force était donc de grouper les maisons autant que possible et de mettre leurs habitants en communication immédiate. Les façades en charpente se prêtaient bien mieux que celles en maçonnerie à ces dispositions resserrées et à ce système de claires-voies ; de plus elles prenaient moins de ce terrain si précieux. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner si, parmi les populations urbaines qui ont acquis vers le XIVe siècle des privilèges, une certaine indépendance, qui sont devenues industrieuses et riches, la construction de bois a été presque exclusivement adoptée. Dans les villes du Midi, où les traditions de la municipalité romaine ne s’étaient jamais entièrement perdues, et qui n’avaient pas été forcées de réagir violemment contre le pouvoir féodal, surtout contre le pouvoir féodal clérical devenu plus lourd pour les cités que la puissance laïque, l’architecture domestique conserva la construction de maçonnerie, des dispositions de rues relativement plus larges, et n’adopta point ces façades entièrement ouvertes qui mettaient, pour ainsi dire, tous les bourgeois d’une cité en contact les uns avec les autres.