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les Xe, XIe et XIIe siècles, quantité d’objets apportés de Byzance et de Syrie remplissaient les trésors des monastères et des palais : étoffes, ivoires sculptés, ustensiles, menus meubles, venaient en grand nombre d’Orient et fournissaient aux artistes français des motifs d’ornements qu’ils interprétaient à leur manière. Beaucoup de ces ornements byzantins étaient empruntés eux-mêmes à la flore orientale. Il ne faut donc pas s’étonner si l’on trouve sur nos chapiteaux et nos frises des XIe et XIIe siècles des formes qui rappellent certains végétaux qui alors n’étaient pas connus en Occident (voy. Sculpture ).

Telles étaient les diverses sources auxquelles avaient été puiser les sculpteurs romans lorsqu’apparut l’école laïque de la seconde moitié du XIIe siècle ; cette école ne pouvait rompre tout à coup avec celle qui la précédait. Dans un même édifice on voit, comme à la cathédrale de Paris, comme autour du chœur de l’église de Saint-Leu d’Esserent, comme à Noyon, des sculptures empreintes encore des traditions romanes à côté d’ornements d’un style entièrement étranger à ces traditions, recueillis dans la flore française. Ce sont les feuilles de l’Ancolie, de l’Aristoloche, de la Primevère, de la Renoncule, du Plantain, de la Cymbalaire, de la Chélidoine, de l’Hépatique, du Cresson, des Géraniums, de la Petite-Oseille, de la Violette, des Rumex, des Fougères, de la Vigne ; les fleurs du Muflier, de l’Aconit, du Pois, du Nénuphar, de la Rue, du Genêt, des Orchidées, des Cucurbitacées, de l’Iris, du Safran, du Muguet ; les fleurs, fruits ou pistils des Papaveracées, des Polygalées, du Lin, des Malvacées, de quelques Rosacées, du Souci, des Euphorbiacées, des Alismacées, des Iridées et Colchicacées qui inspirent les sculpteurs d’ornement. Mais il ne faudrait pas se méprendre sur la valeur de notre observation, ces artistes ne sont pas botanistes ; s’ils cherchent à rendre la physionomie de certains végétaux, ils ne se piquent pas d’exactitude organographique ; ils ne se font pas faute de mêler les espèces, de prendre un bouton à telle plante, une feuille à celle-ci, une tige à celle-là ; ils observent avec une attention scrupuleuse les caractères principaux des végétaux, le modelé des feuilles, la courbure et la diminution des tiges, les attaches, les contours si purs et si fermes des pistils, des fruits ou des fleurs ; ils créent une flore qui leur appartient, mais qui, toute monumentale qu’elle est, conserve un caractère de vraisemblance plein de vie et d’énergie. Cette flore monumentale a ses lois, son développement, ses allures ; c’est un art, pour tout dire en un mot, non point une imitation. Nous sommes aujourd’hui si loin de la voie suivie à toutes les belles époques, qu’il nous faut faire quelques efforts pour comprendre la puissance de cette création de second ordre, éloignée autant de l’imitation servile et de la banalité que de la fantaisie pure. Nos monuments se couvrent d’imitations de l’ornementation romaine, qui n’est qu’une copie incomprise de la flore monumentale des Grecs ; nous copions les copies de copies, et à grands frais ; notre parure architectonique tombe dans la vulgarité, tandis que l’école laïque de la fin du XIIe siècle allait aux sources chercher ses