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demment incomplète. Bien d’autres constructions fâcheuses ont détruit l’unité de conception de la façade occidentale de Notre-Dame de Strasbourg ; le beffroi central, entre les deux tours, est une adjonction monstrueuse qui change absolument les proportions de cette façade, adjonction inutile et qui doit fort tourmenter les Steinbach dans leur tombe, si toutefois les architectes, dans l’autre monde, ont connaissance des changements qu’on fait subir à leurs œuvres, ce qui serait pour tous, sans exception, un supplice continuel.

Si les architectes du XVe siècle avaient possédé les ressources dont disposaient ceux du commencement du XIIIe siècle pour la construction des grandes cathédrales, ils nous auraient laissé des flèches de pierre merveilleuses par leur combinaison, car l’architecture de ce temps se prêtait plus qu’aucune autre à ces jeux d’appareil. Il est douteux, toutefois, que ces monuments pussent produire plus d’effet que nos flèches de pierre des XIIe et XIIIe siècles, sobres dans les détails, mais d’une si parfaite élégance comme silhouette et, au demeurant, beaucoup plus solides et durables. Le domaine royal est la véritable patrie des flèches ; c’est là où il faut étudier les principes qui ont dirigé nos architectes de l’école laïque à son origine. La Normandie a élevé, pendant le XIIIe siècle, un grand nombre de flèches qui existent encore, grâce à la bonté des matériaux de cette province ; mais ces conceptions sont loin de valoir celles de l’Île-de-France. Les flèches des églises de l’abbaye aux hommes de Caen, des cathédrales de Coutances et de Bayeux, ne nous présentent pas une entente parfaite des détails avec l’ensemble : leurs pinacles sont mesquins, confus, couverts de membres trop petits pour la place qu’ils occupent ; les silhouettes sont molles, indécises, et n’ont jamais cette mâle énergie qui nous charme dans les contours des flèches de Chartres, de Saint-Denis, de Senlis, de Vernouillet et d’Étampes.

flèches de charpenterie. — Il nous serait difficile de dire à quelle époque remontent les premières flèches construites en bois. Il en existait au XIIe siècle, puisqu’il est fait mention alors d’incendies de clochers de charpente ; mais nous n’avons sur leur forme que des données très-vagues. Ces flèches consistaient alors probablement en de grandes pyramides posées sur des tours carrées, couvertes d’ardoises ou de plomb et percées de lucarnes plus ou moins monumentales. Il faut, d’ailleurs, bien définir ce qu’on doit entendre par flèche en charpente. Dans le nord de la France, beaucoup de tours en maçonnerie étaient et sont encore couvertes par des pavillons en bois qui ne sont, à proprement parler, que des combles très-aigus. La flèche de charpenterie est une œuvre à part, complète, qui possède son soubassement, ses étages et son toit ; elle peut, il est vrai, être posée sur une tour en maçonnerie, comme étaient les flèches de la Cathédrale d’Amiens avant le XVIe siècle, celle de Beauvais avant la chute du transsept, celle de Notre-Dame de Rouen avant l’incendie, comme est encore celle de la cathédrale d’Évreux ; mais cependant elle se distingue