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[croix]
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rieure ne peut avoir été exécutée qu’en cuivre fondu[1]. Elle se compose d’une colonne, peut-être en pierre, posée sur des marches. De la colonne sort la croix avec le Christ et deux crosses amplement découpées portant la Vierge et saint-Jean. Si nous tenons compte de la manière conventionnelle employée par Villard dans ses dessins et que nous remettions ce croquis en proportion, nous obtenons la fig. 23, qui donne un bel exemple de croix en pierre du sol au niveau A, et en métal depuis le niveau A jusqu’au sommet ; cette croix appartient au temps où vivait Villard, c’est dire qu’elle est de la première moitié du XIIIe siècle. Villard, sauf quelques rares exceptions, ne fait pas d’archéologie, et ne remplit son Album que de dessins pris sur des monuments contemporains. « Dans le XVe siècle, dit Courtalon, il existait à l’église Saint-Remy de Troyes une nombreuse confrérie de la Croix à l’autel de ce nom. Des oblations qu’on y faisait, les confrères firent ériger, en mars 1495, proche l’église Saint-Jean, dans la Grande-Rue, un très-beau monument en l’honneur de la Croix, que l’on appela la Belle-Croix[2]. »

La description de cette croix, que l’on trouve tout entière dans le Voyage archéologique dans le département de l’Aube[3], donne l’idée d’un monument d’une grande importance. Cette croix, entièrement de bronze, sauf le socle, était décorée de nombreuses figurines, parmi lesquelles on distinguait Satan et Simon le Magicien, que les Troyens appelaient Simon Magut. Au pied du Christ, on voyait la Madeleine embrassant le pied de l’arbre de la croix ; de chaque côté, saint-Jean et la Vierge ; au-dessous, saint-Pierre, saint-Loup, saint-Louis, des prophètes, parmi lesquels on distinguait Mahomet. Un mémoire dressé en 1530 sur ce monument, et rapporté par Grosley, nous fait connaître qu’il était, dans l’origine, surmonté d’un baldaquin ou dôme en maçonnerie, porté sur de très-hautes colonnes, « le tout fort triomphant et étoffé de peintures d’or et d’azur, et garni d’imaiges et autres beaux ouvrages à l’avenant… Que cette croix en remplaçait une de pierre dure, garnie d’imaiges, laquelle étant venue en ruyne et décadence, fut démolie et transportée au cimetière de l’Hôtel-Dieu-Saint-Esprit, et fut illec colloquée et dressée attenant de la sépulture de noble homme NIC. BOUTIFLART, en son vivant bourgeois de Troyes…» Le mercredi 5 décembre 1584, un ouragan renversa la coupole sur la croix, qui fut rompue, bien qu’un gros arbre de fer la traversât du haut en bas. « La chute de la belle croix, ajoute M. Arnaud, facilita la visite des reliques qu’elle renfermait ; on trouva dans la tête de l’image de la Vierge qui est derrière le crucifix une petite boîte de laiton fermée et attachée avec un fil d’archal… » L’année suivante, en 1585, la belle croix de Troyes fut rétablie, mais sans la coupole qui la couvrait. Ce monument fut fondu en 1793 ; la fonte

  1. Voy. Album de Villard de Honnecourt, arch. du XIIIe siècle, p. 85, pl. XIV. Impr. impér., 1858.
  2. La place qu’occupait cette croix à Troyes porte encore le nom de la Belle-Croix.
  3. Curieux ouvrage, publié par M. A. F. Arnaud, peintre. Troyes, 1837.