Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 4.djvu/33

Cette page a été validée par deux contributeurs.
[construction]
[principes]
— 30 —

important : c’est que les pierres composant ces arcs sont posées en encorbellement, que leurs lits ne sont pas normaux à la courbe, qu’ils sont horizontaux ; cela est moins que rien pour ceux qui ne se préoccupent que de la forme extérieure ; mais pour nous, praticiens, ce détail a cependant son importance. Et d’ailleurs, quand les Grecs ou les Romains auraient fait des voûtes engendrées par des arcs brisés, qu’est-ce que cela ferait, si le principe général de la construction ne dérive pas de la combinaison de ces courbes et de l’observation de leurs effets obliques ? Il est évident que, du jour où l’homme a inventé le compas et le moyen de tracer des cercles, il a trouvé l’arc brisé : que nous importe s’il n’établit pas un système complet sur l’observation des propriétés de ces arcs ? On a voulu voir encore, dans l’emploi de l’arc en tiers-point pour la construction des voûtes, une idée symbolique ou mystique ; on a prétendu démontrer que ces arcs avaient un sens plus religieux que l’arc plein cintre. Mais on était tout aussi religieux au commencement du XIIe siècle qu’à la fin, sinon plus, et l’arc en tiers-point apparaît précisément au moment où l’esprit d’analyse, où l’étude des sciences exactes et de la philosophie commence à germer au milieu d’une société jusqu’alors à peu près théocratique. L’arc en tiers-point et ses conséquences étendues dans la construction apparaissent, dans nos monuments, quand l’art de l’architecture est pratiqué par les laïques et sort de l’enceinte des cloîtres, où jusqu’alors il était exclusivement cultivé.

Les derniers constructeurs romans, ceux qui après tant d’essais en viennent à repousser le plein cintre, ne sont pas des rêveurs : ils ne raisonnent point sur le sens mystique d’une courbe ; ils ne savent pas si l’arc en tiers-point est plus religieux que l’arc plein cintre ; ils bâtissent, ce qui est plus difficile que de songer creux. Ces constructeurs ont à soutenir des voûtes larges et hautes sur des piles isolées : ils tremblent à chaque travée décintrée ; ils apportent chaque jour un palliatif au mal apparent ; ils observent avec inquiétude le moindre écartement, le moindre effet produit, et cette observation est un enseignement incessant, fertile ; ils n’ont que des traditions vagues, incomplètes, l’obscurité autour d’eux, les monuments qu’ils construisent sont leur unique modèle ; c’est sur eux qu’ils font des expériences ; ils n’ont recours qu’à eux-mêmes, ne s’en rapportent qu’à leurs propres observations.

Lorsqu’on étudie scrupuleusement les constructions élevées au commencement du XIIe siècle, que l’on parvient à les classer chronologiquement, que l’on suit les progrès des principales écoles qui bâtissent en France, en Bourgogne, en Normandie, en Champagne, on est encore saisi aujourd’hui par cette sorte de fièvre qui possédait ces constructeurs ; on partage leurs angoisses, leur hâte d’arriver à un résultat sûr ; on reconnaît d’un monument à l’autre leurs efforts ; on applaudit à leur persévérance, à la justesse de leur raison, au développement de leur savoir si borné d’abord, si profond bientôt. Certes, une pareille étude est utile pour nous, constructeurs du XIXe siècle, qui sommes disposés à