Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 4.djvu/255

Cette page a été validée par deux contributeurs.
[construction]
[civile]
— 252 —

résultats analogues au moyen de trompes ; mais les trompes chargent les maçonneries inférieures beaucoup plus que ce système d’encorbellements, exigent des matériaux plus nombreux et plus grands, des coupes de pierres difficiles à tracer et plus difficiles encore à tailler. Ce n’est donc point là un progrès, à moins que l’on ne considère comme un progrès le plaisir donné à un appareilleur de montrer son savoir au détriment de la bourse de celui qui fait bâtir.

Si, pendant les XIVe et XVe siècles, les constructions religieuses ne modifièrent que peu les méthodes appliquées à l’art de bâtir par les architectes du XIIIe siècle, il n’en est pas de même dans les constructions civiles. Celles-ci prennent une allure plus franche ; les procédés employés sont plus étendus, les méthodes plus variées ; les architectes font preuve de cette indépendance qui leur manque dans les monuments religieux. C’est que déjà, en effet, la vie se retirait de l’architecture religieuse et portait toute son énergie vers les constructions civiles. Sous les règnes de Charles V et de Charles VI, le développement de l’architecture appliquée aux édifices publics, aux châteaux et aux maisons, est très-rapide. Aucune difficulté n’arrête le constructeur, et il arrive, en étendant les principes admis par ses devanciers, à exécuter les constructions les plus hardies et les mieux entendues sous le double point de vue de la solidité et de l’art. À cette époque, quelques seigneurs surent donner une impulsion extraordinaire aux constructions ; ils les aimaient, comme il faut les aimer, en laissant à l’artiste toute liberté quant aux moyens d’exécution et au caractère qui convenait à chaque bâtiment[1]. Les ducs de Bourgogne et Louis

  1. Rien ne nous semble plus funeste et ridicule que de vouloir, comme cela n’arrive que trop souvent aujourd’hui, imposer aux architectes autre chose que des programmes ; rien ne donne une plus triste idée de l’état des arts et de ceux qui les professent, que de voir les artistes accepter toutes les extravagances imposées par des personnes étrangères à la pratique, sous le prétexte qu’elles payent. Les tailleurs ont, à ce compte, plus de valeur morale que beaucoup d’architectes ; car un bon tailleur, si on lui commande un habit ridicule, dira : « Je ne puis vous faire un vêtement qui déshonorerait ma maison et qui ferait rire de vous. » Ce mal date d’assez loin déjà, car notre bon Philibert Delorme écrivait, vers 1575 : « …Je vous advertiray, que depuis trente cinq ans en ça, et plus, j’ay observé en divers lieux, que la meilleure partie de ceux qui ont faicts ou voulu faire bastiments, les ont aussi soubdainement commencez, que légèrement en avoient délibéré : dont s’en est ensuivy le plus souvent repentance et dérision, qui toujours accompagnent les mal advisez : de sorte que tels pensans bien entendre ce qu’ils vouloient faire, ont veu le contraire de ce qui se pouvoit et devoit bien faire. Et si par fortune ils demandoient à quelques uns l’advis de leur délibération et entreprinse, c’estoit à un maistre maçon, ou à un maistre charpentier, comme l’on a accoutumé de faire, ou bien à quelque peintre, quelque notaire, et autres qui se disent fort habiles, et le plus souvent n’ont gueres meilleur jugement et conseil que ceux qui le leur demandent… Souventes fois aussi j’ay veu de grands personnages qui se sont trompez d’eux-mêmes, pour autant que la plupart de ceux qui sont auprès d’eux, jamais ne leur veulent contredire, ains comme désirant de leur complaire, ou bien à faulte qu’ils ne l’entendent, respondent incontinent tels mots, C’est bien dict,