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chaque nouveau membre ajouté à l’architecture gothique entraînait une série de détails, d’études et de combinaisons. On nous dira peut-être que ce sont là des efforts bien grands pour les motifs qui les provoquent : la critique sera juste, mais elle frappe beaucoup plus haut. Dans l’ordre naturel, combien ne voyons-nous pas de combinaisons compliquées, de détails, d’efforts longs et puissants, pour produire en apparence de minces résultats ? Ce n’est pas nous qui avons créé le monde, qui avons présidé à son ordonnance ; et si les choses y sont bien arrangées, il faut reconnaître que cet arrangement n’est rien moins que simple. Les architectes du moyen âge admettront une critique qui pourrait s’adresser au grand ordonnateur de l’univers. Ces architectes ont, comme leurs prédécesseurs, eu la matière inerte à leur disposition ; ils ont dû se soumettre aux lois de l’attraction, de la résistance, tenir compte du vent et de la pluie. En présence de la matière inerte et de l’action des forces naturelles, ils ont cru que l’équilibre était la loi vraie de la construction : peut-être se sont-ils trompés ; mais on avouera du moins qu’ils se sont trompés en gens de génie, et il y a toujours quelque chose de bon à prendre chez les hommes de génie, même quand ils se trompent. D’ailleurs, il faut bien reconnaître que plus l’homme cherche, plus il combine et complique les choses, et plus tôt il arrive à constater l’infirmité de son jugement. Voici des rationalistes (qu’on me passe le mot), des artistes qui suivent un principe, vrai à tout prendre, en se conformant aux règles les plus rigoureuses de la logique ; qui prennent, pour bâtir, de la pierre de taille, c’est-à-dire une matière qui est formée de manière à être employée par superposition, par assises, en un mot : par conséquent, les lignes principales de leurs constructions doivent donc être horizontales. Point ; après un demi-siècle de recherches, de combinaisons toutes plus ingénieuses les unes que les autres, ils arrivent, au contraire, à faire dominer, dans leurs édifices, la ligne verticale sur la ligne horizontale, et cela sans cesser un seul instant de suivre les conséquences du principe vrai qu’ils ont posé. Bien des causes les conduisent à ce résultat. Nous en avons signalé quelques-unes, comme, par exemple, l’utilité des pierres posées debout pour roidir les constructions, la nécessité de charger les points d’appui sollicités à sortir de la verticale par les poussées obliques. Il en est une dernière qui a son importance. Dans les villes du moyen âge, le terrain était rare. Toute ville, par suite du système féodal, était fortifiée, et on ne pouvait reculer les fortifications d’une cité tous les dix ans. Il fallait donc renfermer les monuments dans des espaces étroits, n’occuper que le moins de surface possible. Or si vous bâtissez d’après un principe qui fait que toutes les actions de votre construction soient obliques, et si vous ne pouvez vous étendre, il faut bien suppléer par des pesanteurs verticales à l’espace qui vous manque en surface. Une loi imposée d’abord par la nécessité et que l’on subit comme telle devient bientôt une habitude et un besoin, si bien que, lors même que l’on pourrait s’en affranchir, on s’y soumet, elle plaît, elle est entrée dans les mœurs. Dès que les architectes du moyen