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[développements]
[construction]
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chargé par une assise de corniche et un piédestal N portant une statue colossale. Deux colonnettes jumelles sont encore posées devant cette statue, entre le premier et le second arc-boutant. Ces dernières colonnettes ne portent pas la tête de cet arc-boutant, mais un pinacle dont nous indiquerons tout à l’heure la forme et la structure. Cet ensemble se rapporte à peu près à ce que nous avons vu à Amiens. Nous observons cependant que tout ce système de construction double porte d’aplomb sur la pile inférieure, la partie intérieure étant construite en assises et celle extérieure en grands morceaux rigides, posés en délit, afin de donner du roide à cet ensemble si grêle et si élevé[1] ; nous observons encore que le très-fort linteau L, le bloc M et sa charge N, tendent évidemment à ajouter un poids considérable au sommet du quillage inférieur pour le maintenir dans la verticale et faire que sa fonction d’étançon soit bien réelle. Voilà donc la pile intérieure rendue aussi rigide que possible ; il s’agit maintenant de résister à la poussée de la voûte qui s’exerce à une prodigieuse hauteur. L’architecte ne crut pas pouvoir se contenter d’un seul arc-boutant, comme à Amiens, fût-il surmonté d’une claire-voie rigide ; il avait raison, car à Amiens, dans les parties parallèles du chœur qui reçoivent trois nerfs de voûtes au lieu d’un seul, ces arcs-boutants, avec claires-voies, se sont relevés par suite de la pression des voûtes, et, au XVe siècle, il fallut bander de nouveaux arcs-boutants sous ceux du XIIIe. Mais voici où le maître de l’œuvre de Beauvais fit preuve d’une hardiesse sans exemple et en même temps d’une sagacité rare. On voit que la pile O intermédiaire ne porte pas d’aplomb sur la pile P, tête de chapelle, comme à la cathédrale d’Amiens, mais que son axe est à l’aplomb du parement intérieur de cette pile P. Disons tout de suite que cette pile O, dont nous donnons la section horizontale sur CD en C′, présente plus de poids vers son parement C que sur celui D. Son centre de gravité est donc en dedans de la ligne ponctuée R, c’est-à-dire sur la pile P. Cependant cette pile est ainsi en équilibre, tendant à s’incliner plutôt vers l’intérieur de l’église que vers le gros contre-fort extérieur ; elle vient donc, par sa position : 1o soutirer la poussée des deux arcs-boutants, 2o ajouter à la résistance opposée par ces arcs-boutants une tendance d’inclinaison vers le chœur. La pile O verticale remplit ainsi la fonction d’un étai oblique. Si cette résistance active ne suffit pas (et elle ne saurait suffire), la pile O est maintenue à son tour, dans sa fonction, par les deux derniers arcs-boutants ST et le gros contre-fort passif. Mais, objectera-t-on peut-être, pourquoi cette pile intermédiaire ? pourquoi les grands arcs-boutants ne viennent-ils pas se reposer simplement sur le gros contre-fort passif extérieur ? C’est que le gros contre-fort extérieur ne pourrait contre-butter la poussée d’arcs-boutants d’un aussi grand rayon, à moins d’être aug-

  1. Au XIVe siècle, les colonnettes posées sur le triforium s’étant brisées furent remplacées par une pile pleine (voy. la fig. 61, à l’article Arc-boutant) ; mais on peut encore aujourd’hui reconnaître leur position et à peu près leur diamètre.