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[développements]
[construction]
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soumise à cette condition. Or voici comment les constructeurs ont résolu ce problème. Les piles C ont été montées par assises séparées par des joints de mortier épais, suivant la méthode des maçons de cette époque ; les piles A, au contraire, sont composées de faisceaux de colonnes élevées en grands morceaux de pierre, sortes de chandelles (pour nous servir d’un terme de charpenterie) qui ne peuvent tasser comme le font des assises nombreuses posées à bain de mortier. Ne voulant pas donner à ces piles A une large assiette afin de n’encombrer point l’entrée des chapelles, il n’était pas de meilleur moyen pour les rendre très-rigides sous la charge qu’elles devaient supporter que de les composer d’un faisceau de colonnes presque monolithes, et, en diminuant ainsi le nombre des joints, d’éviter toute cause de tassement. Observons que les matériaux dont disposaient les architectes picards peuvent être impunément posés en délit, et que s’ils ont élevé ces colonnes des piles A en plusieurs morceaux, c’est qu’ils ne pouvaient se procurer des monolithes de dix mètres de hauteur ; ils ont pris les plus grandes pierres qu’ils ont pu trouver, variant entre un et deux mètres, tandis que les piles C sont composées d’assises de 0,50 c. à 0,60 c. de hauteur.

À Amiens, la théorie et la pratique ont eu raison des difficultés que présentait l’érection d’un vaisseau ayant 15m,00 de largeur d’axe en axe des piles sur 42m,50 de hauteur sous clef, flanqué de collatéraux de 7m,00 de largeur dans œuvre sur 19m,00 de hauteur sous clef. Cette vaste construction a conservé son assiette, et les mouvements qui ont dû nécessairement se produire dans une bâtisse aussi étendue n’ont pu en altérer la solidité. Alors les architectes avaient renoncé aux voûtes croisées comprenant deux travées ; voulant répartir les poussées également sur les points d’appui séparant ces travées, ils avaient adopté, dès 1220, les voûtes en arcs d’ogive barlongues, conformément au plan (99) ; c’était plus logique : les piles AMIH étaient pareilles et les contre-forts B semblables entre eux, les arcs-boutants de même puissance. Les constructeurs allaient en venir aux formules ; leur sentiment d’artiste avait dû être choqué par ces voûtes croisées sur des travées doubles paraissant reporter les charges de deux en deux piles, et dont les arcs ogives CD, par leur inclinaison, venaient masquer les fenêtres ouvertes de C en E sous les formerets. D’ailleurs, ainsi que nous l’avons dit déjà, ces arcs ogives, ayant un diamètre CD très-long relativement aux diamètres des arcs doubleaux CF, les obligeaient à relever beaucoup les clefs G, ce qui gênait la pose des entraits des charpentes, ou nécessitait des élévations considérables de bahuts au-dessus des formerets CE. En bandant des voûtes en arcs d’ogive par travées, les arcs ogives AH étant plein cintre, il était facile de faire que les clefs L de ces arcs ogives ne fussent pas au-dessus du niveau des clefs K des arcs doubleaux AI-MH qui étaient en tiers-point.

Nos lecteurs en savent assez maintenant, nous le croyons, pour comprendre, dans son ensemble aussi bien que dans ses détails, la construction d’une grande église du XIIIe siècle, telle, par exemple, que la