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de lien entre les grands propriétaires d’un État ne devaient avoir aucune influence sur les successeurs de ces chefs de bande dispersés sur le sol. Les Normands, au contraire, étaient forcément dirigés par d’autres mobiles; tous pirates, tous solidaires, conservant longtemps des relations avec la mère patrie qui leur envoyait sans cesse de nouveaux contingents, arrivant en conquérants dans des contrées déjà occupées par des races guerrières, ils étaient liés par la communauté des intérêts, par le besoin de se maintenir serrés, unis, dans ces pays au milieu desquels ils pénétraient sans trop oser s’étendre loin des fleuves, leur seule voie de communication ou de salut en cas de désastre.

Si les traditions romaines avaient exercé une influence sur la disposition des demeures des propriétaires francs, elles devaient être très-affaiblies pour les pirates scandinaves qui ne commencèrent à fonder des établissements permanents sur le continent qu’au Xe siècle. Ces derniers, plus habitués à charpenter des bateaux qu’à élever des constructions sur la terre ferme, durent nécessairement profiter des dispositions du terrain pour établir leurs premiers châteaux forts, qui n’étaient que des campements protégés par des fossés, des palissades et quelques ouvrages de bois propres à garantir des intempéries les hommes et leur butin. Ils purent souvent aussi profiter des nombreux camps gallo-romains que l’on rencontre même encore aujourd’hui sur les côtes de la Manche et les bords de la Seine, les augmenter de nouveaux fossés, d’ouvrages intérieurs, et prendre ainsi les premiers éléments de la fortification de campagne. Cependant les Normands, actifs, entreprenants et prudents à la fois, tenaces, doués d’un esprit de suite qui se manifeste dans tous leurs actes, comprirent, très-promptement l’importance des châteaux pour garder les territoires sur lesquels les successeurs de Charlemagne avaient été forcés de les laisser s’établir; et, dès le milieu du Xe siècle, ils ne se contentèrent plus de ces défenses de campagne en terre et en bois, mais élevèrent déjà, sur le cours de la basse Seine, de l’Orne et des petites rivières qui se jettent dans la Manche, des demeures de pierre, construites avec soin, formidables pour l’époque, dont il nous reste des fragments considérables et remarquables surtout par le choix intelligent de leur assiette. Autres étaient alors les châteaux de France ; ils tenaient, comme nous l’avons dit, et du camp romain et de la villa romaine. Ils étaient établis soit en plaine, soit sur des montagnes, suivant que le propriétaire franc possédait un territoire plane ou montagneux. Dans le premier cas, le château consistait en une enceinte de palissade entourée de fossés, quelquefois d’une escarpe en terre, d’une forme ovale ou rectangulaire. Au milieu de l’enceinte, le chef franc faisait amasser des terres prises aux dépens d’un large fossé, et sur ce tertre factice ou motte se dressait la défense principale qui plus tard devint le donjon. On retrouve encore, dans le centre de la France, et surtout dans l’ouest, les traces de ces châteaux primitifs.

Un établissement de ce genre, la Tusque à Sainte-Eulalie d’Ambarès (Gi-