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[charpente]
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dans l’extrême aiguité des deux courbes reportant une grande partie de la poussée sur le potelet I, c’est-à-dire en contrebas de la tête du mur. Ce système étant adopté conduisit les charpentiers anglo-normands à des combinaisons fort savantes et d’une grande hardiesse d’exécution.

Tous ceux qui ont été à Londres ont vu la charpente qui couvre la grand’salle de l’abbaye de Westminster, dont la largeur, dans œuvre, est de 21m,00. C’est là un magnifique exemple de ces immenses constructions de bois qui se trouvaient si fréquemment dans le nord de la France et que l’on rencontre encore en Angleterre. Il mérite que nous en donnions une description exacte à nos lecteurs. Les murs de la grand’salle de l’abbaye de Westminster ont 2m,20 d’épaisseur sur une hauteur de 11m,50 environ. La charpente, de la tête des murs au faîtage, porte 14m,00, et près de 20m,00 des corbeaux au faîtage. Les arbalétriers et chevrons ont 17m,00 compris tenons ; nous n’avons pu savoir s’ils sont d’un seul morceau. Les différentes pièces de cette charpente sont couvertes de belles moulures, toutes évidées dans la masse, et les assemblages sont exécutés avec une telle perfection qu’on a grand’peine à les reconnaître.

Nous donnons d’abord (32) l’ensemble d’une des fermes-maîtresses. Le principe dont nous avons indiqué les éléments dans la charpente de la cathédrale d’Ély se retrouve complètement développé dans la charpente de Westminster. Pas d’entraits, mais de grands blochets saillants portés par des liens, et portant eux-mêmes les courbes qui viennent s’assembler à la base du faux poinçon. Mais à Westminster, pour réunir la partie de la charpente élevée au-dessus des blochets avec les grandes potences qui portent ceux-ci, d’immenses moises courbes étreignent tout le système, rendent ses différents membres solidaires et donnent à chaque demi-ferme la roideur et l’homogénéité d’une planche. Le problème posé fig. 30 est ici résolu, car il était facile de lier les deux demi-fermes au faux poinçon, de façon à ne pas craindre une dislocation sur toute la longueur de ce poinçon ; dès lors les deux demi-fermes formaient comme deux triangles rigides, pleins, ayant une base commune. En effet, l’entrait retroussé A (fig. 32) est d’une seule pièce ; il est même posé sur son fort et plus épais vers son milieu qu’à ses extrémités. Cet entrait formant la base du triangle dont B C est un des côtés, ce triangle ne peut s’ouvrir ; c’est une ferme complète, rendue plus rigide encore par les remplissages qui la garnissent. Cette ferme supérieure ou ce triangle homogène s’appuie sur deux poteaux D qui s’assemblent à leur pied sur l’extrémité du blochet E. Ce blochet est lui-même maintenu horizontal par le lien courbe F et les remplissages. Mais si la pression était très-forte à l’extrémité du blochet cette pression exercerait une poussée en G à la base du lien F. C’est pour éviter cette pression et cette poussée que sont posées les grandes courbes moises H qui, embrassant le milieu de l’entrait retroussé A, le poteau D le blochet E et le pied du lien F, arrêtent tout mouvement, et font de ces compartiments inférieurs une seule et même pièce de charpente, qui n’est susceptible d’aucune déformation ni dislocation. Remarquons, d’ailleurs