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d’événements tenant à la construction du monument. Il y a, dans cet hommage rendu à la patience et à la force des utiles animaux qui ont contribué à l’édification de l’église, l’expression naïve d’un sentiment de justice assez touchant. Au point de vue de l’art, la présence de ces sculptures colossales donne aux sommets des tours de Laon un aspect étrange qui ne manque ni d’originalité ni de grandeur. Il n’est pas besoin de faire ressortir la beauté de cette composition. La manière dont les pinacles posés diagonalement sont portés sur les contre-forts d’angle, les riches encorbellements établis au niveau A et qui servent de transition entre la forme de ces contre-forts et celle des pinacles à jour, la sobriété des détails, les proportions si heureuses des étages de la tour, ces rappels de lignes horizontales à certaines hauteurs, font de cet ensemble un magnifique monument. Malheureusement, les constructions faites à la hâte, élevées en matériaux de médiocre qualité et avec trop peu de soin, ne répondent pas à la grandeur magistrale de cette conception. Il a fallu, de notre temps, en venir à des restaurations importantes et nécessitées par l’état de ruine de la façade de la cathédrale de Laon. Ces restaurations, dirigées avec intelligence et savoir par un de nos plus habiles confrères, permettront aux clochers de Laon de traverser plusieurs siècles.

Désormais, dans les églises du XIIIe siècle, le plan adopté à Laon pour les clochers devait l’emporter sur le plan des architectes de l’Île-de-France. Vers 1260, on commençait à élever les deux clochers de la façade de la cathédrale de Reims, qui n’ont, comparativement à la hauteur de cette façade, qu’une médiocre importance. L’étage de leur beffroi seul se dégage des constructions inférieures[1]. Mais le plan de ces clochers, pris à la base des beffrois, est remarquable. Nous le donnons ici (74), en A au niveau de la souche du beffroi, et en B au-dessous de la voûte d’arêtes à huit pans qui ferme la tour au-dessous de la flèche. Ces flèches, projetées en pierre, ne furent point terminées ; les désastres du XIVe siècle en arrêtèrent l’exécution. Si l’on compare ce plan à tous ceux que nous avons donnés précédemment dans le cours de cet article, on y trouvera un progrès sensible. Les pinacles d’angles ne sont plus là un hors-d’œuvre, un édicule accolé aux quatre coins du clocher ; ils s’y lient intimement, ils forment des couvertures voûtées sur les angles E du beffroi de charpente qui pénètrent l’octogone de la tour. Ces pinacles ne sont plus divisés en étages comme ceux des tours de la cathédrale de Laon, mais montent de fond comme les fenêtres munies de meneaux servant d’ouïes au beffroi. L’un d’eux C contient un escalier à jour qui permet d’arriver au-dessus de la voûte. Ce plan est fort bien étudié, ainsi que toutes les dispositions d’ensemble et de détail de la cathédrale de Reims ; il présente une particularité toute nouvelle à cette époque ; en ce qu’à l’intérieur il donne une cage carrée au beffroi, nécessaire au jeu des cloches et à la solidité de la charpente, et qu’à l’extérieur il forme une tour octogonale flanquée de

  1. Voy., pour les clochers des cathédrales de Paris et de Reims, le mot Façade.