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villes romaines s’était conservé comme en Italie, existait-il près des églises des tours isolées à la fois religieuses et communales, qui furent détruites lors des guerres religieuses du XIIIe siècle ; ce qui est certain, c’est que, dans les villes du nord, le réveil de l’esprit municipal est signalé par l’érection de grands clochers tenant aux églises cathédrales, car il faut observer que les clochers les plus imposants par leur hauteur et leur richesse s’élèvent, à la fin du XIe siècle et pendant le XIIe, au milieu des cités qui s’érigent en communes de gré ou de force.

Mais aucune province ne rivalise avec la Normandie, dès la fin du XIe siècle, pour le nombre et la dimension de ses clochers. Les Normands établis sur le continent devinrent bientôt d’infatigables constructeurs. Ils avaient pour eux la richesse d’abord, puis un esprit de suite qui manquait à la plupart des populations françaises ; ces deux conditions étaient également nécessaires pour ériger des monuments dispendieux et qui demandaient de longs travaux. Bien partagés en matériaux propres à bâtir, les Normands élevèrent, dès le temps de Guillaume le Conquérant, de vastes églises et les couronnèrent par des clochers nombreux et élevés ; c’est surtout pendant le XIIe siècle que leurs cités se signalèrent entre les villes françaises par le nombre et l’élévation prodigieuse des clochers. La plupart de leurs églises, même de second ordre, en possédaient trois, un clocher sur la croisée et deux clochers sur la façade. Leurs cathédrales et leurs églises abbatiales en possédèrent bientôt cinq, car aux trois dont nous venons d’indiquer la place ils en ajoutèrent souvent deux de moindre importance, flanquant les sanctuaires au-dessus des collatéraux. Ce ne fut qu’à la fin du XIIe siècle que les provinces du domaine royal renchérirent encore sur les constructions normandes, en donnant à leurs cathédrales sept et même neuf clochers (voy. Cathédrale).

Le clocher central normand, celui qui est posé à l’intersection des bras de croix, n’est pas seulement une tour s’élevant au-dessus des voûtes de l’église et portant sur les quatre piliers principaux, il contribue encore à l’effet intérieur du monument en laissant au-dessus de la croisée une vaste lanterne, libre et apparente à l’intérieur, dont l’effet ajoute singulièrement à la grandeur du vaisseau. Quant aux clochers annexés aux façades, les plus anciens montent de fond, et l’intervalle laissé entre eux est réservé au porche ou vestibule. Cette méthode, appliquée à la construction des clochers des façades, n’était pas, avant la période gothique, propre seulement à la Normandie. Les constructeurs romans n’osaient pas, comme leurs successeurs, poser ces tours colossales partie sur les murs de face et latéraux, partie sur une pile isolée, et il faut dire qu’en principe ils n’avaient pas tort. D’ailleurs les architectes romans ne donnaient pas généralement, aux tours des façades, l’importance qu’on leur donna depuis. Pour eux, le clocher principal, celui qui s’élevait le plus haut et qui présentait la base la plus large, était naturellement le clocher élevé sur la croisée. Cette base était commandée par l’écartement des piles, par la largeur de la nef, et partant d’un plan aussi étendu comme surface, il