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Chacun sait qu’en Italie les clochers des églises sont tous isolés, qu’ils composent un monument à part. Mais en Italie, pendant les premiers siècles du moyen âge, les cités avaient conservé leur constitution romaine, ou peu s’en faut, et les clochers étaient un monument municipal autant qu’un monument religieux. Dans le midi de la France, les plus anciens clochers présentent la même disposition, et ne font pas partie du plan de l’église. Le clocher de Périgueux lui-même est planté sur une portion de l’église primitive conservée, mais ne tient pas à l’église abbatiale de la fin du Xe siècle. Les constructeurs périgourdins ont voulu utiliser une bâtisse ancienne qui leur servît de soubassement et qui leur permît d’élever ainsi à une grande hauteur leur nouvelle tour, sans dépenses trop considérables. Il y a là certainement une question d’économie, d’autant que l’on trouve partout, dans l’église de Saint-Front, la marque évidente d’une pénurie de ressources, la volonté d’élever un vaste monument en dépensant le moins possible.

Il est probable que, dans les premiers siècles du moyen âge, on éleva ainsi, en France, accolés à des églises fort anciennes, mais en dehors de leur plan, des clochers auxquels on voulait donner une grande hauteur et par conséquent une base solide et large. Dès le XIe siècle, ce qui caractérise le clocher de l’église et le distingue des tours des châteaux ou des habitations privées, ce sont : 1o ces étages ajourés supérieurs destinés au placement des cloches ; 2o les couronnements aigus, pyramidaux, en pierre, qui leur servent de toit. Les clochers primitifs affectant, en France, la forme carrée en plan, les pyramides en pierre qui les couronnent sont elles-mêmes à base carrée, avec ou sans nerf sur les arêtiers. Il est cependant des exceptions à cette règle, et le vieux clocher de Périgueux en est une preuve ; là, le couronnement porte sur un étage circulaire et est conique ; mais il fait reconnaître, comme nous l’avons déjà dit, dans le clocher de Périgueux, une origine étrangère, qui servit de type à beaucoup de clochers de l’ouest, car nous voyons ces couronnements coniques persister, dans cette partie de la France, pendant le XIIe siècle, et pénétrer même jusque dans le Berry. En dehors de cette influence sortie de Périgueux, et dont l’origine peut bien être byzantine, en dehors de l’école occidentale dont Brantôme est un type, les provinces composant la France de nos jours adoptent les clochers pour toutes leurs églises, grandes ou petites, à partir du XIe siècle ; mais toutes n’adoptent pas les mêmes dispositions, quant à la place ou quant à la forme à donner aux clochers. Les unes, comme l’Auvergne et le centre, qui, pendant la période romane, sont en avance sur le nord et l’ouest, plantent leurs clochers d’abord sur la rencontre des transepts avec la nef, sur la croisée et sur la façade ; les autres, comme les provinces françaises proprement dites, les placent en avant des nefs et dans les angles des transsepts. D’autres enfin, comme les provinces les plus méridionales, hésitent, ne font pas entrer les clochers dans le plan général de l’église, ou ne leur donnent qu’une minime importance. Peut-être, dans ces contrées où l’esprit municipal des