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aiment davantage les cloches et le son des cloches. Les Grecs, qui sont des peuples fort polis, avaient peu de cloches avant qu’ils eussent été réduits sous la domination ottomane, et ils n’en ont presque point aujourd’hui, étant obligés de se servir de tables de fer ou de bois pour assembler les fidèles dans les églises. Les Italiens, qui se piquent de spiritualité et de délicatesse, ont aussi peu de cloches ; encore ne sont-elles pas fort grosses. Les Allemands et les Flamands, au contraire, en ont de grosses et en grand nombre ; cela vient de leur peu de politesse. Les païsans, les gens de basse condition, les enfans, les foux, les sourds et muets, aiment beaucoup à sonner les cloches ou à les entendre sonner. Les personnes spirituelles n’ont pas de penchant pour cela. Le son des cloches les importune, les incommode, leur fait mal à la tête, les étourdit. » Thiers n’aime pas les cloches, sa boutade le dit assez. Cependant il faut avouer que le moyen âge les aimait fort et en fabriqua une quantité prodigieuse. Les églises paroissiales possédaient souvent deux clochers ; les églises abbatiales et cathédrales en élevèrent quelquefois jusqu’à sept, qui tous contenaient des cloches.

Les cloches, ou du moins les clochettes, étaient connues dès l’antiquité grecque et romaine. Quelques auteurs prétendent que ce fut le pape Sabinien (an 604), successeur immédiat de saint Grégoire, qui, le premier, prescrivit l’usage des cloches pour annoncer les saints offices. Ce qui ne peut être mis en doute, c’est que des cloches étaient suspendues au-dessus des églises dès le VIIe siècle[1]. Ces cloches primitives, toutefois, n’étaient que d’un faible poids relativement aux nôtres. La plus grosse des cloches données par le roi Robert à l’église Saint-Agnan d’Orléans, au XIe siècle, et qui passait pour une pièce admirable, ne pesait pas plus de 2 600 livres. Les cloches données par Rodolphe, abbé de Saint-Trond, au commencement du XIIe siècle, pour l’église de son monastère, pesaient depuis 200 jusqu’à 3 000 livres.

Guillaume Durand[2] commence ainsi son chapitre sur les cloches des églises : « Les cloches ou campanes (campanæ) sont des vases d’airain inventés d’abord à Nole, cité de Campanie ; c’est pourquoi les plus grands de ces vases sont appelés campanæ, du pays de Campanie, et les plus petits ou clochettes, nolæ, de la cité de ce nom. » Mais l’opinion de l’évêque de Mende, partagée par saint Anselme, par Honoré, prêtre de l’église d’Autun, et par Binsfeld, n’est appuyée sur aucun monument, sur aucune preuve. Ce n’est guère qu’à dater du XIIIe siècle que l’on donna aux cloches des dimensions considérables ; à cette époque, l’art du fondeur était déjà très-perfectionné ; il dut nécessairement s’appliquer à la fabrication des cloches. Il est vraisemblable que ce fut seulement vers cette époque que l’on observa, dans la fabrication des cloches, deux sortes

  1. Voy. les Notices sur les cloches, par M. l’abbé Barraud, insérées dans le Bulletin monumental, publié par M. de Caumont, t. X, p. 93, et dans les Annal. Archéol., t. XVI, p. 325.
  2. Rational, lib. I, Cap. IV.