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clef véritable par des boulons en fer, et même quelquefois aux entraits des charpentes. Il n’est pas besoin de faire ressortir les inconvénients et les dangers de ce genre de décoration. Les clefs pendantes fatiguent les voûtes par leur poids exagéré, au lieu de les maintenir dans un juste équilibre ; elles risquent de se détacher par l’oxydation des fers et de tomber sur la tête des assistants.

Nous disions tout à l’heure que quelques-unes de ces clefs sont de petits modèles de monuments. Nous citerons entre autres celle de la chapelle de la Vierge de l’église de Saint-Gervais et Saint-Protais à Paris, qui représente, suspendu sous la voûte, toute une enceinte entourant des édifices. Celles de l’église de Saint-Florentin en Bourgogne, de l’église de Saint-Pierre de Caen, qui datent du commencement du XVIe siècle, celles des voûtes hautes du chœur de l’église d’Eu, etc. Les exemples abondent. Alors les voûtes en arcs d’ogives ne se composent pas seulement des deux arcs diagonaux ; mais d’une quantité d’arcs qui s’entrecroisent (voy. Voûte ) ; aux points d’intersection de ces arcs se trouvent souvent des clefs pendantes, plus ou moins saillantes et décorées, ce qui donne à ces voûtes l’apparence d’une grotte tapissée d’énormes stalactites. Ce sont là de ces fantaisies de pierre plus surprenantes que belles, qui fatiguent et préoccupent plutôt qu’elles ne satisfont les yeux. La raison et le goût se choquent de ces raffinements dont on ne comprend pas le motif, et qui détruisent l’unité des intérieurs. Nous donnons (22) une de ces clefs provenant des voûtes du chœur de l’église d’Eu. Nous choisissons cet exemple comme un des plus anciens, car il date de la fin du XVe siècle. C’est aussi, à notre sens, un des plus beaux. Les clefs pendantes des voûtes du chœur de cette église, rebâties à cette époque sur un édifice de la fin du XIIe siècle, sont encore à peu près gothiques comme ornementation. Déjà, cependant, on sent l’influence du chapiteau corinthien dans la clef que nous donnons ici. Elle est d’ailleurs prise dans un seul morceau de pierre et n’est point composée de pièces accrochées. Dans la même église, nous voyons aussi les arcs-doubleaux de la voûte du chœur décorés de clefs pendantes assez adroitement agencées ; nous donnons plus loin l’une d’elles (23).

La Normandie, l’Angleterre et la Bretagne ont surtout abusé de ce genre de décoration ; mais les reproductions de ces étrangetés sont trop connues pour qu’il soit nécessaire d’en donner ici de nombreux exemples ; on a pris si longtemps les abus et les exagérations de la décadence du style gothique pour l’expression la plus complète et la plus heureuse de cet art, que les ouvrages traitant de l’architecture du moyen âge sont pleins de ces extravagances, bonnes pour amuser les personnes qui ne voient dans l’art que nous professons qu’un jeu d’esprit. Nous croirions manquer à nos lecteurs si nous remplissions nos pages de figures n’ayant tout au plus qu’un attrait de curiosité.

Par exception, les constructeurs du XIIe siècle ont parfois posé des clefs sculptées dans les remplissages des voûtes en arcs d’ogives. En Angleterre