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c’est évidemment un lieu de plaisir, retiré, parfaitement choisi pour jouir à la fois de tous les avantages qu’offrent la solitude et l’habitation d’un palais somptueux. Pour comprendre Chambord, il faut connaître la cour de François Ier. Ce prince avait passé les premières années de sa jeunesse près de sa mère, la duchesse d’Angoulême, qui, vivant en mauvaise intelligence avec Anne de Bretagne, éloignée de la cour, résidait tantôt dans son château de Cognac, tantôt à Blois, tantôt à sa maison de Romorantin. François avait conservé une affection particulière pour les lieux où s’était écoulée son enfance dans la plus entière liberté. Parvenu au trône, il voulut faire de Chambord, qui n’était jusqu’alors qu’un vieux manoir bâti par les comtes de Blois, un château magnifique, une résidence royale. On prétend que le Primatice fut chargé de la construction de Chambord ; le Primatice serait-il là pour nous l’assurer, nous ne pourrions le croire, car Chambord n’a aucun des caractères de l’architecture italienne du commencement du XVIe siècle ; c’est, comme plan, comme aspect et comme construction, une œuvre non-seulement française, mais des bords de la Loire. Si l’on veut nous accorder que le Primatice ait élevé Chambord en cherchant à s’approprier le style français, soit ; mais alors cette œuvre n’est pas de lui, il n’y a mis que son nom, et cela nous importe peu[1].

  1. Notre vieux poëte, Charles de Sainte-Marthe, né en 1542, mort en 1555, écrivait, dans ses Conseils aux poëtes, pendant que l’on bâtissait Chambord, ces vers pleins de sens, et qui font connaître quelle était alors la manie des beaux-esprits en France de ne rien trouver de bon que ce qui venait d’Italie :

    « Ne veulx-tu donq, ô François, y entendre ?
    Ne veulx-tu donq virilement contendre
    Contre quelcuns barbares estrangiers
    Qui les François disent estre légiers ?
    D’où prennent-ils d’ainsi parler audace ?
    C’est seulement à la mauvaise grace
    Que nous avons des nostres dépriser
    Et sans propos les aultres tant priser.

    Qu’a l’Italie ou toute l’Allemaigne,
    La Grèce, Escosse, Angleterre ou Espaigne
    Plus que la France ? Est-ce point de tous biens ?
    Est-ce qu’ils ont aux arts plus de moyens ?
    Ou leurs esprits plus aiguz que les nostres ?
    Ou bien qu’ils sont plus savants que nous aultres ?
    Tant s’en fauldra que leur veuillons céder
    Que nous dirons plus tost les excéder.

    Un seul cas ont (et cela nous fait honte),
    C’est que des leurs ils tiennent un grand compte,
    Et par amour sont ensemble conjoincts,
    Mais nous, François, au contraire, disjoincts.
    Car nous avons à écrire invectives.
    ............ »

    C’est quelque maître des œuvres français, quelque Claude ou Blaise de Tours ou