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l’aristocratie féodale pour ressaisir son ancienne puissance ; à cette époque, beaucoup de seigneurs garnirent leurs châteaux de nouvelles défenses appropriées à l’artillerie ; ces défenses consistaient principalement en ouvrages extérieurs, en grosses tours épaisses et percées d’embrasures pour recevoir du canon, en plates-formes ou boulevards commandant les dehors.

Le plan du château d’Arques, que nous avons donné (fig. 4), a conservé en B un ouvrage de la fin du XVe siècle, disposé en avant de l’ancienne entrée pour battre le plateau situé en face du côté du nord, et empêcher un assiégeant d’enfiler la cour du château, au moyen de batteries montées sur ce plateau, qui n’en est séparé que de deux cents mètres. Ces défenses jouèrent un rôle assez important pendant la journée d’Arques, le 21 septembre 1589, en envoyant quelques volées de leurs pièces au milieu de la cavalerie de Mayenne, au moment où la victoire était encore incertaine. L’ouvrage avancé du château d’Arques est bien construit et possède, pour l’époque, d’assez bons flanquements. Dans les positions déjà très-fortes par la situation des lieux, les seigneurs féodaux prirent généralement peu de souci de l’artillerie et se contentèrent de quelques fortins élevés autour de leurs demeures pour protéger les abords et commander les chemins ; c’est surtout autour des châteaux de plaine que des travaux furent exécutés, à la fin du XVe siècle, pour présenter des obstacles à l’artillerie à feu, que l’on découronna un grand nombre de tours afin de les terrasser et d’y placer du canon, que l’on fit des remblais derrière les courtines pour pouvoir mettre sur leur crête des pièces en batterie, et que l’on supprima les vieilles barbacanes pour les remplacer par des plates-formes ou boulevards, carrés ou circulaires. Cependant les seigneurs qui bâtissaient à neuf des châteaux de montagne avaient égard aux nouveaux moyens d’attaque.

Le château de Bonaguil nous a fait voir déjà comment on avait cherché, vers le milieu du XVe siècle, à munir d’artillerie une demeure féodale par certaines dispositions de détail qui ne changeaient rien, en réalité, aux dispositions générales antérieures à cette époque. Il n’en fut pas longtemps ainsi, et les châtelains reconnurent, à leurs dépens, que, pour protéger leur demeure féodale, il fallait planter des défenses en avant et indépendantes des bâtiments d’habitation ; qu’il fallait s’étendre en dehors, sur tous les points saillants, découverts, afin d’empêcher l’ennemi de placer ses batteries de siége sur quelque plateau commandant le château.

Ce commencement de la transition entre l’ancien système de défense et le nouveau est visible dans le château du Hohenkœnigsbourg, situé entre Sainte-Marie aux Mines et Schelestadt, sur le sommet d’une des montagnes les plus élevées de l’Alsace. Au XVe siècle, les seigneurs du Hohenkœnigsbourg s’étaient rendus redoutables à tous leurs voisins par leurs violences et leurs actes de brigandage[1]. Les plaintes devinrent si

  1. Nous devons les curieux renseignements que nous possédons sur ce château à l’obligeance bien connue du savant archiviste de Strasbourg, M. Schéegans, et à notre confrère M. Bœswilwald.