Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 3.djvu/149

Cette page a été validée par deux contributeurs.
[chateau]
— 146 —

« Ont régné avec convoitise,
« Qui a tiré ;
« Dont tout a été deciré,
« Et le bien publique empiré.
« ........ »

Alors, les romans de chevalerie étaient fort en vogue ; on aimait les fêtes, les tournois, les revues ; chaque petit seigneur, sous cette monarchie en ruine, regrettant les concessions faites, songeait à se rendre important, à reconquérir tout le terrain perdu pendant deux siècles, non par des services rendus à l’État, mais en prêtant son bras au plus offrant, en partageant les débris du pouvoir royal, en opprimant le peuple, en pillant les villages et les campagnes, et, pour s’assurer l’impunité, les barons couvraient le sol de châteaux mieux défendus que jamais. Les mœurs de la noblesse offraient alors un singulier mélange de raffinements chevaleresques et de brigandage, de courtoisie et de marchés honteux. Au delà d’un certain point d’honneur et d’une galanterie romanesque, elle se croyait tout permis envers l’État, qui n’existait pas à ses yeux, et le peuple qu’elle affectait de mépriser d’autant plus qu’elle avait été forcée déjà de compter avec lui. Aussi est-ce à dater de ce moment que la haine populaire contre la féodalité acquit cette énergie active qui, transmise de générations en générations, éclata d’une manière si terrible à la fin du siècle dernier. Haine trop justifiée, il faut le dire ! Mais ces derniers temps de la féodalité chevaleresque et corrompue, égoïste et raffinée, doivent-ils nous empêcher de reconnaître les immenses services qu’avait rendus la noblesse féodale pendant les siècles précédents ?… La féodalité fut la trempe de l’esprit national en France ; et cette trempe est bonne. Aujourd’hui que les châteaux seigneuriaux sont détruits pour toujours, nous pouvons être justes envers leurs anciens possesseurs ; nous n’avons pas à examiner leurs intentions, mais les effets, résultats de leur puissance.

Au XIe siècle, les monastères attirent tout à eux, non-seulement les âmes délicates froissées par l’effrayant désordre qui existait partout, les esprits attristés par le tableau d’une société barbare où rien n’était assuré, où la force brutale faisait loi, mais aussi les grands caractères qui prévoyaient une dissolution générale si on ne parvenait pas à établir, au milieu de ce chaos, des principes d’obéissance et d’autorité absolue, appuyés sur la seule puissance supérieure qui ne fût pas contestée, celle de Dieu (voy. Architecture Monastique). Bientôt, en effet, les monastères, qui renfermaient l’élite des populations, furent non-seulement un modèle de gouvernement, le seul, mais étendirent leur influence en dehors des cloîtres et participèrent à toutes les grandes affaires religieuses et politiques de l’Occident. Mais, par suite de son institution même, l’esprit monastique pouvait maintenir, régenter, opposer une digue puissante au désordre ; il ne pouvait constituer la vie d’une nation, sa durée eût enfermé la civilisation dans un cercle infranchissable. Chaque ordre religieux était un centre dont on ne s’écartait que pour retomber dans la barbarie.