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compagnons qui se traînaient sur leurs traces, ils les appellent à participer à leur entreprise ; et, employant des moyens qui leur sont connus, ils travaillent alors à miner les flancs et les fondations de la tour, se couvrant toujours de leurs boucliers, de peur que les traits lancés sur eux sans relâche ne les forcent à reculer, et se mettant ainsi à l’abri jusqu’à ce qu’il leur soit possible de se cacher dans les entrailles mêmes de la muraille, après avoir creusé au-dessous. Alors ils remplissent ces creux de troncs d’arbres, de peur que cette partie du mur, ainsi suspendue en l’air, ne croule sur eux et ne leur fasse beaucoup de mal en s’affaissant ; puis aussitôt qu’ils ont agrandi cette ouverture, ils mettent le feu aux arbres et se retirent en un lieu de sûreté. » Les étançons brûlés, la tour s’écroule en partie. Roger, désespérant alors de s’opposer à l’assaut, fait mettre le feu à l’ouvrage avancé et se retire dans la seconde enceinte. Les Français se précipitent sur les débris fumants de la brèche, et un certain Cadoc, chevalier, plante le premier sa bannière au sommet de la tour à demi renversée. Le petit escalier de cette tour, visible dans notre plan, date de la construction première ; il avait dû, à cause de sa position enclavée, rester debout. C’est probablement par là que Cadoc put atteindre le parapet resté debout.

Mais les Normands s’étaient retirés dans le château séparé de l’ouvrage avancé par un profond et large fossé. Il fallait entreprendre un nouveau siége. « Jean avait fait construire l’année précédente une certaine maison, contiguë à la muraille et placée du côté droit du château, en face du midi[1]. La partie inférieure de cette maison était destinée à un service qui veut toujours être fait dans le mystère du cabinet[2], et la partie supérieure, servant de chapelle, était consacrée à la célébration de la messe : là il n’y avait point de porte au dehors, mais en dedans (donnant sur la cour) il y en avait une par où l’on arrivait à l’étage supérieur, et une autre qui conduisait à l’étage inférieur. Dans cette dernière partie de la maison était une fenêtre prenant jour sur la campagne et destinée à éclairer les latrines. » Un certain Bogis, ayant avisé cette fenêtre, se glissa le long du fond du fossé, accompagné de quelques braves compagnons, et s’aidant mutuellement, tous parvinrent à pénétrer par cette

    flancs de l’ouvrage. Encore aujourd’hui, le texte de Guillaume à la main, on suit pas à pas toutes ces opérations de l’attaque, et pour un peu on retrouverait encore les trous percés dans la craie par ces braves pionniers lorsqu’ils reconnurent que leurs échelles étaient trop courtes pour atteindre le sommet de l’escarpe.

  1. C’est le bâtiment H tracé sur notre plan, fig. 11.
  2. C’étaient les latrines ; dans son histoire en prose, l’auteur s’exprime ainsi : Quod quidem religioni contrarium videbatur. Les latrines étaient donc placées sous la chapelle, et leur établissement, du côté de l’escarpement, n’avait pas été suffisamment garanti contre une escalade, comme on va le voir. Les latrines jouent un rôle important dans les attaques des châteaux par surprise ; aussi on verra comme, pendant les XIIIe et XIVe siècles, elles furent l’objet d’une étude toute spéciale.