Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 2.djvu/538

Cette page a été validée par deux contributeurs.
[cha]
— 535 —

neau, pour éviter les déchets ou évidement de pierre sur toute sa longueur ; précaution d’appareilleur qui n’avait pas toujours été prise par les architectes de la première moitié du XIIIe siècle. Cette position donnée au tailloir du chapiteau n’est pas seulement réservée aux colonnettes des meneaux, elle est encore adoptée, dès 1240 à 1245, pour les chapiteaux d’arcs doubleaux dont les membres de moulures, comme à la Sainte-Chapelle du Palais, par exemple, s’inscrivent dans un angle droit présentant son sommet à l’intrados.

Plus tard, vers la fin du XIIIe siècle et le commencement du XIVe, l’angle droit présentant son aiguité sur la face du tailloir du chapiteau des meneaux parut trop vif, trop saillant, trop important, donnant une ombre trop prononcée ; en conservant le principe de l’angle sur la face, on traça le tailloir des chapiteaux de meneaux suivant un hexagone régulier.

Nous présentons (voy. 48 bis) un chapiteau des montants simples appartenant aux fenêtres des chapelles absidales de Notre-Dame de Paris ; son tailloir, ainsi que l’indique la section horizontale A, est un hexagone. Le fût de la colonnette se prolonge jusque sous le bord supérieur de la corbeille, ce qui est encore un des caractères particuliers aux chapiteaux de la fin du XIIIe siècle ; cette corbeille est décorée de bouquets de feuilles empruntées à la flore indigène, le crochet a disparu. Ces chapiteaux datent des premières années du XIVe siècle ; ils sont peints à l’intérieur ; la corbeille est rouge, les feuilles or, ainsi que le bord supérieur de la corbeille, l’astragale pourpre, la gorge du tailloir bleu verdâtre, son filet est pourpre et son tore doré.

C’est vers 1240 que les feuilles décoratives des chapiteaux s’épanouissent complétement, et qu’au lieu d’être copiées sur des plantes grasses, des herbacées, elles sont de préférence cueillies sur les arbres à haute tige, le chêne, l’érable, le poirier, le figuier, le hêtre, ou sur des plantes vivaces, comme le houx, le lierre, la vigne, l’églantier, le framboisier. L’imitation de la nature est déjà parfaite, recherchée même, ainsi que le fait voir un des chapiteaux de l’arcature de la Sainte-Chapelle haute de Paris (49). On trouve encore, dans cet exemple, le crochet du commencement du XIIIe siècle ; mais sa tête n’a plus rien du bourgeon, c’est un bouquet de feuilles ; sur la corbeille déjà serpentent des tigettes ; la feuille ne tient plus à l’architecture, elle est indépendante ; c’est comme un ornement attaché autour de la corbeille. On comprendra tout le parti que des mains aussi habiles que celles des sculpteurs de cette époque pouvaient tirer de ce système de décoration ; et, en effet, une quantité innombrable de ces chapiteaux du milieu du XIIIe siècle sont, comme exécution et comme composition gracieuse, des œuvres charmantes. Les ensembles architectoniques perdent de leur grandeur cependant du jour où la sculpture commence à s’attacher plutôt à l’imitation de la nature qu’à satisfaire aux données générales de l’art. Les chapiteaux de cette époque deviennent déjà confus ; mais la corbeille bien visible, bien galbée, et le tailloir encore largement profilé (dans l’Île de France surtout) soutiennent les membres supérieurs que les chapiteaux sont destinés à porter.