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qui porte, comme un renfort ajouté au pilier, les colonnettes montant jusqu’à la naissance des voûtes hautes ; en B l’une des trois autres colonnes qui portent les deux archivoltes et l’arc doubleau du collatéral ; les arcs ogives posent sur les sections circulaires du tailloir du gros chapiteau, laissées encore inutiles, en partie, du côté de la nef. Si le gros chapiteau est formé de deux assises, les trois chapiteaux des colonnes engagées B sont sculptés dans une seule. L’instinct de l’artiste lui commandait cette différence de hauteur donnée à des chapiteaux de colonnes de diamètres différents. Quant à la colonne engagée A ne portant pas d’arc, mais un groupe de colonnettes, elle n’a pas de chapiteaux. Ce fait indique bien clairement que l’on n’admettait alors le chapiteau (comme déjà pendant la période romane) que pour porter des arcs de voûtes, et servir de transition, d’encorbellement, entre le sommier large de ces arcs et les fûts minces des colonnes.

Ce moyen transitoire trouvé, les architectes ne purent manquer d’être choqués par ces démanchements d’assises ornées, ce tailloir d’une forme assez peu gracieuse et compliquée en plan. Ils cherchèrent à concilier l’effet d’unité donné par le chapiteau unique possédant un seul tailloir avec les nécessités de proportions qui obligeaient d’avoir des hauteurs de chapiteaux en rapport avec le diamètre des fûts des colonnes réunies. Ils résolurent ce problème avec beaucoup d’adresse dans la construction des piliers latéraux du chœur de la cathédrale d’Auxerre (1230 environ), ainsi que le fait voir la fig. 32. Les colonnes engagées ne viennent ici qu’épauler quatre des faces du tailloir octogone du chapiteau de la grosse colonne centrale. L’astragale des petits chapiteaux passe également sur le gros, indique le lit ; et au-dessous, ce gros chapiteau, entre l’astragale fausse et sa véritable astragale, présente une sculpture plus simple, plus en rapport avec son diamètre. L’ornementation de la partie supérieure du gros chapiteau participe, comme échelle de celle des petits, tandis qu’elle lui appartient en propre dans la partie inférieure où il reste seul visible. Ce n’est pas là, il faut bien en convenir, l’effet du hasard ou d’une fantaisie d’artiste, mais la conséquence d’un principe qui cherche à devenir de plus en plus absolu jusque dans les moindres détails de la construction et de la décoration des édifices.

Entre le chapiteau de Notre-Dame de Paris (fig. 31) et celui que nous représentons ici (32), il y a un grand pas de fait vers l’unité d’aspect ; mais les quatre colonnes engagées viennent encore couper le gros chapiteau, et le démanchement qui choque, dans la fig. 31, n’est pas évité malgré le passage de l’astragale des petits chapiteaux sur la corbeille du gros. On voulut tout concilier à Reims en construisant les piliers de la cathédrale (1230 à 1240)[1].

  1. Nous parlons des piliers de la partie la plus ancienne de la nef avoisinant les transsepts