Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 2.djvu/415

Cette page a été validée par deux contributeurs.
[cha]
— 412 —

prêcha, monté sur une estrade, du haut de la colline de Vézelay, devant l’armée des croisés rassemblés dans la vallée d’Asquin, en présence de Louis le Jeune. La chaire du prédicateur n’était alors qu’une petite plate-forme sans garde-corps ; car, au milieu d’un vaste espace, en plein air, le prédicateur devait être vu en pied ; sa posture dans une boîte semblable à nos chaires eût été ridicule[1].

Les prédications en plein air étaient fréquentes au moyen âge et jusqu’au moment de la réformation. Les prédicateurs se retirèrent sous les voûtes des églises quand ils purent craindre de trouver parmi la foule assemblée des contradicteurs. Ceux qui se seraient permis de provoquer un scandale au milieu d’un champ ou sur une place publique, n’osaient et ne pouvaient le faire dans l’enceinte d’une église.

Nous trouvons encore des chaires élevées dans les cloîtres et cimetières pendant les XIVe et XVe siècles, et même sur la voie publique tenant à l’église. Le cloître de la cathédrale de Saint-Dié en contient une en pierre, placée vers le commencement du XVIe siècle, et que nous donnons figure 4. Ce petit monument est recouvert par un auvent également en pierre, destiné à garantir le prédicateur contre les ardeurs du soleil et surtout à rabattre la voix sur l’assistance : car, pour les chaires élevées en plein air ou dans les églises, on sentit bientôt la nécessité de suspendre au-dessus du prédicateur un plafond pour empêcher la voix de se perdre dans l’espace ; cet appendice de la chaire prit le nom d’abat-voix.

À l’un des angles de l’église Saint-Lô, sur la rue, on trouve encore une de ces chaires extérieures en pierre, dont la porte communique avec un escalier intérieur, et qui est recouverte d’un riche abat-voix terminé en pyramide[2]. Cette chaire date de la fin du XVe siècle. Mais c’est particulièrement pendant le XVIe siècle et au moment de la réformation que l’on établit des chaires dans la plupart des églises françaises. La prédication était, à cette époque, un des moyens de combattre l’hérésie avec ses propres armes ; on plaça les chaires dans les nefs (ce qui ne s’était pas fait jusqu’alors), afin que le prédicateur se trouvât au milieu de l’assistance. Les cathédrales de Strasbourg et de Besançon ont conservé des chaires en pierre de cette époque ; celle de Strasbourg particulièrement est d’une excessive richesse et du travail le plus précieux. Son abat-voix est couronné par une pyramide chargée de détails et découpures infinies ; ce monument est d’ailleurs, comme composition et ornementation, d’un assez mauvais goût, se rapprochant du style adopté en Allemagne à la fin de l’ère ogivale.

  1. En Italie, certaines prédications en plein air se font encore sur des estrades ; les gestes et la pose de l’orateur produisent alors un grand effet, pour peu qu’il soit doué de quelque talent.
  2. Ce monument est reproduit dans le grand ouvrage de MM. Taylor et Nodier, France pittoresque.