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dans les constructions. Nous citerons, entre autres exemples, la façade de la cathédrale de Strasbourg, qui, de la base jusqu’à la hauteur du pied de la flèche, est chaînée avec un grand soin à tous les étages, au moyen de longues barres de fer plat bien forgées, noyées entre les lits des assises ; le chœur de l’ancienne cathédrale de Carcassonne, qui est de même solidement chaîné au moyen de longues et fortes barres de fer passant à travers les baies, et servant d’armatures aux vitraux ; l’église Saint-Ouen de Rouen, la cathédrale de Narbonne.

Les architectes du XIIIe siècle n’employèrent pas seulement les chaînages à demeure, noyés dans les constructions, ils s’en servirent aussi comme d’un moyen provisoire pour maintenir les poussées des arcs des collatéraux sur les piles intérieures, avant que celles-ci ne fussent chargées. Dans le chœur et la nef des cathédrales de Soissons et de Laon, dans la nef de la cathédrale d’Amiens, dans le chœur de celle de Tours, constructions élevées de 1210 à 1230, on observe, au-dessus des chapiteaux portant les archivoltes et les voûtes en arcs d’ogives des bas-côtés, entaillées dans le lit inférieur des sommiers, des pièces de bois sciées au ras du ravalement ; ces pièces de bois n’ont guère que 0,12 c. 0,12 c. d’équarrissage. Ce sont des tirants posés, en construisant les voûtes, entre les cintres doubles sur lesquels on bandait les archivoltes et les arcs doubleaux et laissés jusqu’à l’achèvement de l’édifice, c’est-à-dire jusqu’au moment où les piles intérieures étaient chargées au point de ne plus faire craindre un bouclement produit par la poussée des voûtes des bas-côtés. On pouvait ainsi, sans risques, décintrer ces voûtes, se servir des bois pour un autre usage, et livrer même ces bas-côtés à la circulation. La construction terminée, on sciait les tirants en bois.

La fig. 7[1] fera comprendre l’emploi de ce procédé fort ingénieux et simple. On voit en A le bout du chaînage de bois scié ; Ce moyen avait été indiqué par l’expérience ; beaucoup de piles intérieures d’églises, bâties à la fin du XIIe siècle, sont sorties de la verticale, sollicitées par la poussée des voûtes des bas-côtés avant l’achèvement de la construction ; car, pour interrompre le culte le moins longtemps possible, à peine les bas-côtés étaient-ils élevés, on fermait les voûtes, on les décintrait, on établissait un plafond sur la nef centrale à la hauteur du triforium, et on entrait dans l’église.

À la cathédrale de Reims, dont la construction est exécutée avec un grand luxe, on avait substitué aux chaînes provisoires en bois posées sous les sommiers des arcs des piles des bas-côtés, des crochets en fer dans lesquels des tirants en fer, portant un œil à chaque extrémité, venaient s’adapter ; la construction chargée autant qu’il était nécessaire pour ne plus craindre un bouclement des piles, on enleva les tirants ; les crochets sont restés en place. On retrouve les traces de ces chaînages provisoires jusqu’à la fin du XIVe siècle.

  1. De l’une des piles de la nef de la cathédrale d’Amiens.