Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 2.djvu/310

Cette page a été validée par deux contributeurs.
[cat]
— 307 —

commun accord, le chapitre, l’évêque et les bourgeois élevèrent cet édifice à la fois religieux et civil. C’est par des concessions de ce genre que le clergé put amener les citoyens d’une ville riche à faire les sacrifices d’argent nécessaires à la construction d’un monument qui devait servir non-seulement au culte, mais même à des assemblées profanes. Nous ne nous dissimulons pas combien ces conjectures paraîtront étranges aux personnes qui n’ont pas, pour ainsi dire, vécu dans la société du moyen âge, qui croient que cette société était soumise à un régime purement féodal et théocratique ; mais quand on pénètre dans cette civilisation qui se forme au XIIe siècle et se développe au XIIIe, on voit à chaque pas naître un besoin de liberté si prononcé à côté de privilèges monstrueux, une tendance si active vers l’unité nationale, qu’on n’est plus étonné de trouver le haut clergé disposé à aider à ce mouvement et cherchant à le diriger pour ne pas être entraîné et débordé. Les évêques aimaient mieux ouvrir de vastes édifices à la foule, sauf à lui permettre parfois des saturnales pareilles à celles dont nous venons de donner un aperçu, plutôt que de se renfermer dans le sanctuaire, et de laisser bouillonner en dehors les idées populaires. Sous les voûtes de la grande cathédrale, quoique profanes, les assemblées des citoyens étaient fortement empreintes d’un caractère religieux. Les populations urbaines s’habituaient ainsi à considérer la cathédrale comme le centre de toute manifestation publique. Les évêques et les chapitres avaient raison ; ils comprenaient leur époque ; ils savaient que, pour civiliser des esprits encore grossiers, faciles à entraîner, unis par un profond sentiment d’union et d’indépendance, il fallait que le monument religieux par excellence fût le pivot de tout acte public.

Laon est une ville turbulente qui, pendant un siècle, est en lutte ouverte avec son seigneur, l’évêque. Après ces troubles, ces discussions, le pouvoir royal qui, par sa conduite, commence à inspirer confiance en sa force, parvient à établir la paix ; mais on se souvient, de part et d’autre, de ces luttes dans lesquelles seigneurs et peuple ont également souffert ; il faut se faire des concessions réciproques pour que cette paix soit durable ; la cathédrale se ressent de cette sorte de compromis ; sa destination est religieuse, son plan conserve un caractère civil.

À Noyon, d’autres précédents amènent des résultats différents.

« En l’année 1098, dit M. A. Thierry[1], Baudri de Sarchainville, archidiacre de l’église cathédrale de Noyon, fut promu, par le choix du clergé de cette église, à la dignité épiscopale. C’était un homme d’un caractère élevé, d’un esprit sage et réfléchi. Il ne partageait point l’aversion violente que les personnes de son ordre avaient en général contre l’institution des communes. Il voyait dans cette institution une sorte de nécessité sous laquelle, de gré ou de force, il faudrait plier tôt ou tard, et croyait qu’il valait mieux se rendre aux vœux des citoyens que de verser le sang pour reculer de quelques jours une révolution inévi-

  1. Lettres sur l’Hist. de France, par Aug. Thierry (Lettre XV).