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que les citoyens de Laon, possesseurs tranquilles de leurs franchises, aidèrent les évêques de ce diocèse à élever l’admirable édifice que nous voyons encore aujourd’hui.

De toutes les populations urbaines qui, dans le nord de la France, s’établirent en commune, celle de Laon fut une des plus énergiques, et dont les tendances furent plus particulièrement démocratiques. Le plan donné à leur cathédrale fut-il une sorte de concession à cet esprit ? Nous n’oserions l’affirmer ; il n’en est pas moins certain que ce plan est celui de toutes nos grandes cathédrales qui se prête le mieux, par sa disposition, aux réunions populaires. C’est dans ce vaisseau, qui conserve tous les caractères d’une salle immense, que pendant plus de trois siècles, se passèrent, à certaines époques de l’année, les scènes les plus étranges. Nous avons dit déjà « qu’on y célébrait, le 28 décembre, la fête des Innocents[1], où les enfants de chœur, portant chapes, occupaient les hautes stalles et chantaient l’office avec toute espèce de bouffonneries ; le soir, ils étaient régalés aux frais du chapitre[2]. Huit jours après, venait la fête des Fous. La veille de l’Épiphanie, les chapelains et choristes se réunissaient pour élire un pape, qu’on appelait le patriarche des Fous. Ceux qui s’abstenaient de l’élection payaient une amende. On offrait au patriarche le pain et le vin de la part du chapitre, qui donnait, en outre, à chacun, huit livres parisis pour le repas. Toute la troupe se revêtait d’ornements bizarres, et avait, les deux jours suivants, l’église entière à sa disposition. Après plusieurs cavalcades par la ville, la fête se terminait par la grande procession des rabardiaux. Ces farces furent abolies en 1560 ; mais le souvenir s’en conserva dans l’usage, qui subsista jusqu’au dernier siècle, de distribuer, à la messe de l’Épiphanie, des couronnes de feuilles vertes aux assistants[3]… Au XVe siècle, de nombreux mystères furent représentés dans la cathédrale de Laon, et les chanoines eux-mêmes ne dédaignèrent pas d’y figurer comme acteurs[4]. En 1462, aux fêtes de la Pentecôte, on joua la passion de N.-S. Jésus-Christ, distribuée en cinq journées… Le 26 août 1476, on représenta un mystère intitulé : Les Jeux de la vie de Monseigneur saint Denys. Afin de faciliter la représentation, la messe fut dite à huit heures et les vêpres chantées à midi[5]… »

Si le chapitre et les évêques de Laon croyaient nécessaire de faire de semblables concessions morales aux citoyens, ne peut-on admettre que cette tolérance influa sur les dispositions primitives du plan de la cathédrale ?

Après les luttes et les scènes tragiques qui ensanglantèrent l’établissement de la commune de Laon, lorsque, par l’entremise du pouvoir royal, cette commune fut définitivement constituée, il est probable que, d’un

  1. Essai hist. et archéol. sur l’égl. cathéd. de N.-D. de Laon, par J. Marion, 1843.
  2. Dom Bugnâtre.
  3. Dom Bugnâtre.
  4. Regist. capit.
  5. Idem.