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pour achever ou réparer le monument national, voulaient avoir leur chapelle ; on n’obtenait plus d’argent qu’à ce prix.

Les parties supérieures de la cathédrale de Bourges se ressentent du défaut d’unité ; défigurées aujourd’hui par des restaurations barbares qui n’appartiennent à aucune époque, à aucun style, on n’en peut plus juger ; mais nous les avons vues encore, il y a quinze ans, telles que les siècles nous les avaient laissées ; il semblait que l’emploi des sommes successives eût été fait sans tenir compte du projet primitif ; c’était comme une montagne sur laquelle chacun élève à son gré la construction qui lui convient. Les architectes appelés successivement à la terminer ou à consolider des constructions élevées avec des moyens insuffisants, y ajoutèrent, l’un un arc-boutant, l’autre un couronnement de contrefort incomplètement chargé. Certainement celui qui avait conçu le plan et élevé le chœur jusqu’à la hauteur des voûtes avait projeté un édifice qui ne présentait pas ces superfétations et cette confusion ; et il faut se garder de juger l’art des hommes du commencement du XIIIe siècle avec ce que nous donne aujourd’hui la cathédrale de Bourges[1].

La cathédrale de Bourges nous représente mieux encore une salle destinée à une grande assemblée que la cathédrale de Paris, non-seulement dans son plan, par l’absence du transsept, mais dans sa coupe, par la disposition

  1. On a reproché, et on reproche chaque jour aux architectes de cette époque, d’avoir conçu des édifices qui n’étaient pas possibles ; et, confondant les styles, les époques, ne tenant pas compte de l’épuisement des sources financières qui se tarirent au milieu du XIIIe siècle, on les accuse de n’avoir pas su achever ce qu’ils avaient commencé. Mais les architectes qui, en 1490, élevaient une cathédrale, ne pouvaient supposer alors (tel était l’entraînement général) que les moyens dont ils disposaient viendraient à s’amoindrir. Lorsqu’ils ont pu, par hasard, terminer l’œuvre qu’ils avaient conçue, nous verrons avec quelle puissance de moyens et avec quelle science soutenue ils l’ont fait. Déjà l’exemple de la cathédrale de Paris que nous avons donné le prouve ; nous allons voir qu’il n’est pas le seul. Un fait curieux fait comprendre ce que c’était que la construction d’une cathédrale au commencement du XIIIe siècle. Ce fait étant plus rapproché de nous, bien connu, convaincra, nous le croyons, les esprits les plus enclins au doute. La cathédrale d’Orléans fut détruite de fond en comble par les protestants, à la fin du XVIe siècle. Les Orléanais voulurent avoir non-seulement une cathédrale, mais leur cathédrale, celle qui avait été démolie, et pendant deux siècles ils poursuivirent cette idée, malgré que le goût des constructions ogivales ne fût guère de mode alors. La cathédrale d’Orléans fut rebâtie, et ce n’est pas la faute des populations si les architectes ne surent leur élever qu’un monument bâtard. Certes, nous n’avons pas l’intention de donner cet édifice comme un modèle d’architecture ogivale ; mais sa reconstruction est un fait moral d’une grande portée. Orléans, la ville centrale de la France, avait seule peut-être conservé, en plein XVIIe siècle, le vieil esprit national ; seule elle était restée attachée à son monument, qui lui rappelait une grande époque, de grands souvenirs, les premiers efforts de la société française pour se constituer. Nous l’avons dit déjà, si les châteaux, si les abbayes furent brûlés et dévastés en 1793, toutes nos grandes cathédrales restèrent debout, et beaucoup même ne subirent pas de mutilations.