Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 2.djvu/236

Cette page a été validée par deux contributeurs.
[bou]
— 233 —

débitant sans intermédiaire ; un local public destiné à l’échange des valeurs ne lui était pas nécessaire ; traitant directement dans les foires avec le fabricant ou le marchand nomade, payant comptant la marchandise achetée, ou à échéance la marchandise commandée à telle autre foire, il n’avait de relations qu’avec la clientèle qu’il s’était faite, et ne connaissait pas le mécanisme moderne du haut négoce ; mécanisme au moyen duquel le premier venu qui n’a jamais vendu un gramme d’huile et n’en vendra jamais, peut acheter plusieurs milliers de kilogrammes de cette denrée, et, sans en toucher un baril, faire un bénéfice de dix pour cent. Les grands marchés périodiques ont longtemps préservé le négoce en France de ce que nous appelons la spéculation, ont contribué à lui conserver, jusqu’au commencement du siècle, une réputation de probité traditionnelle.

Nous ne pouvons donner à nos lecteurs un exemple de bourse française du moyen âge, ces établissements n’existant pas et n’ayant pas de raison d’exister. Nous devons dire, à l’honneur des monastères (car c’est toujours là qu’il faut revenir lorsque l’on veut comprendre et expliquer la vie du moyen âge en France), que ces centres de religieux réguliers furent les premiers à établir des foires sur le territoire de la France. Possesseurs de vastes domaines, d’usines, agriculteurs et fabricants, ils formaient le noyau de ces agglomérations périodiques de marchands ; certes, ils tiraient un profit considérable de ces réunions, soit par la vente de leurs produits et denrées, soit par la location des terrains qu’ils abandonnaient temporairement ; vastes camps pacifiques dont la foire de Beaucaire peut seule aujourd’hui nous donner l’idée. Mais ce profit, outre qu’il était fort légitime, était une sauvegarde pour le commerce ; voici comment : les monastères conservaient un droit de contrôle sur les objets apportés en foire, et ils ne laissaient pas mettre en vente des marchandises de mauvaise qualité ; cela eût peu à peu discrédité le centre commercial ; quant aux denrées ou produits sortis de leurs mains, ils avaient intérêt et tenaient à cœur de leur maintenir une supériorité sur tous les autres. Les bois, les céréales, les vins, les fers, les tissus, les pelleteries, les laines sortant des établissements religieux étaient toujours de qualité supérieure, recherchés, et achetés de confiance ; car le couvent n’était pas un fabricant ou un agriculteur qui passe et cherche à gagner le plus possible sa vie durant, quitte à laisser après lui un établissement discrédité ; c’était, au contraire, un centre perpétuel de produits, travaillant plus pour conserver sa réputation de supériorité, et par conséquent un débit assuré à tout jamais, que pour obtenir un gain exagéré, accidentel, en livrant des produits falsifiés ou de médiocre qualité, au détriment de l’avenir. Les établissements religieux, à la fin du siècle dernier, n’étaient plus ce que les XIe et XIIe siècles les avaient faits ; et cependant cette époque n’est pas assez éloignée de nous pour que nous ayons oublié la réputation méritée dont jouissaient encore les vins, par exemple, des grands monastères, pendant ces dernières années de leur existence.

Si des villes comme Amsterdam, Anvers, Londres, qui n’étaient et ne