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Souvent cette opposition était la cause de scènes de violence que déploraient les chefs des villes affranchies. Plutôt que de provoquer des luttes continuelles, les bourgeois installèrent des cloches au-dessus des portes des villes, sur des tours destinées à tout autre usage qu’à celui de clocher, et ce ne fut qu’à la fin du XIIe siècle et au commencement du XIIIe que certaines communes purent songer à élever les tours uniquement réservées aux cloches de la ville. Ces tours prirent le nom de beffrois. Elles furent d’abord isolées ; elles étaient comme le signe visible de la franchise de la commune. Plus tard, elles furent réunies à la maison de ville ; c’était le donjon municipal. Il ne nous reste plus en France qu’un bien petit nombre de ces monuments, témoins des premiers et des plus légitimes efforts des populations urbaines pour conquérir la liberté civile, et encore ces rares exemples que nous possédons ne remontent pas au delà du XIVe siècle.

Les premiers beffrois isolés se composaient d’une grosse tour carrée, le plus souvent surmontée d’un comble en charpente recouvert d’ardoises ou de plomb, dans lequel étaient suspendues plusieurs cloches. Une galerie ou étage percé de fenêtres sur les quatre faces servait de poste pour les guetteurs qui, le jour et la nuit, avertissaient les citadins de l’approche des ennemis, découvraient les incendies, réveillaient les habitants au son des cloches ou des trompes. C’était du haut du beffroi que sonnaient les heures du travail ou du repos pour les ouvriers, le lever du soleil, le couvre-feu, que l’on annonçait au bruit des fanfares les principales fêtes de l’année. La tour contenait ordinairement des prisons, une salle de réunion pour les échevins et quelques dépendances telles que dépôt d’archives, magasin des armes que l’on distribuait aux bourgeois dans les temps de trouble, ou lorsqu’il fallait défendre la cité.

Pendant le XIVe siècle, lorsque les grandes horloges furent devenues communes, les beffrois reçurent des cadrans marquant les heures. Le beffroi est longtemps la seule maison de ville, le monument municipal par excellence. Lorsque le pouvoir féodal est le plus fort, son premier acte d’autorité est la démolition du beffroi. En 1322, l’évêque et le chapitre de Laon obtiennent de Charles IV une ordonnance dans laquelle il est dit : « Qu’à l’avenir, en la ville, cité et faubourg de Laon, il ne pourra y avoir, commune, corps, université, échevinage, maire, jurés, coffre commun, beffroi, cloche, sceau ni autre chose appartenant à l’état de la commune.[1] » Et plus tard, en 1331, Philippe VI rend une seconde ordonnance confirmative de la première, se terminant par cette clause : « Il n’y aura plus à Laon de tour du beffroi ; et les deux cloches qui y étaient en seront ôtées et confisquées au roi. Les deux autres cloches qui sont en la tour de la Porte-Martel y resteront, dont la grande servira à sonner le couvre-feu au soir, le point du jour au matin, et le tocsin ; et la petite pour faire assembler le guet[2]. »

  1. A. Thierry. Lettres sur l’histoire de France, lett. XVIII.
  2. Ibid. — Les cloches étaient placées « inter insignia de natura consulatus