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des tours. Mais lorsque la muraille tombait sous les coups de l’artillerie de siége, ces amas de terre, en s’éboulant avec elle, facilitaient l’accès de la brèche en formant un talus naturel, tandis que les murailles seules non terrassées à l’intérieur ne présentaient en tombant que des brèches irrégulières et d’un accès très-difficile. Pour parer à ces inconvénients, lorsque l’on conservait d’anciennes fortifications, et qu’on les appropriait à la défense contre l’artillerie, on farcit quelquefois les terrassements intérieurs de longrines de bois, de branchages résineux ou flambés pour les préserver de la pourriture ; ces terrassements avaient assez de consistance pour ne pas s’ébouler lorsque la muraille tombait, et rendaient la brèche impraticable. Si les vieilles murailles avaient été simplement remblayées à l’intérieur de manière à permettre de placer du canon au niveau des parapets, si les anciens crénelages avaient été remplacés par des merlons épais et des embrasures en maçonnerie, lorsque l’assiégé était assuré du point attaqué, et pendant que l’assiégeant faisait ses dernières approches et battait en brèche, on élevait en arrière du front attaqué un ouvrage en bois terrassé, assez peu élevé pour être masqué du dehors, on creusait un fossé entre cet ouvrage et la brèche ; celle-ci devenue praticable, l’assiégeant lançait ses colonnes d’attaque qui se trouvaient en face d’un nouveau rempart improvisé bien muni d’artillerie ; c’était un nouveau siége à recommencer. Cet ouvrage rentrant était d’un très-difficile accès, car il était flanqué par sa disposition naturelle, et l’assaillant ne pouvait songer à brusquer l’assaut, les colonnes d’attaque se trouvant battues en face, en flanc et même en revers. Lorsque Blaise de Montluc défend Sienne, il fait élever derrière les vieilles murailles de la ville, et sur les points où il suppose qu’elles seront battues, des remparts rentrants dans le genre de celui qui est figuré ici (57). « Or avois-je déliberé, dit-il, que si l’ennemy vous venoit assaillir avec l’artillerie, de me retrancher loing de la muraille où se feroit la batterie, pour les laisser entrer à leur ayse ; et faisois estat tous jours de fermer les deux bouts, et y mettre à chacun quatre ou cinq grosses pièces d’artillerie, chargées de grosses chaînes et de gros clous et pièces de fer. Derrière la retirade je déliberay mettre tous les mousquets de la ville ensemble l’arquebuserie, et, comme ils seroient dedans, faire tirer l’artillerie et l’arquebuserie tout à un coup ; et nous, qui serions aux deux bouts, venir courant à eux avec les picques, hallebardes, épées et rondelles…[1] » Cette disposition provisoire de la défense ne tarda pas à être érigé en système fixe, comme nous le verrons tout à l’heure.

Lorsque les effets de l’artillerie à feu furent bien connus, et qu’il fut avéré que des murs de maçonnerie de deux à trois mètres d’épaisseur (qui est l’épaisseur moyenne des courtines antérieures à l’emploi régulier des bouches à feu) ne pouvaient résister à une batterie envoyant de trois à cinq cents boulets sur une surface de huit mètres carrés environ[2], en abaissant

  1. Comment. du maréc. de Montluc ; édit. Buchon, p. 142.
  2. Dès la fin du XVIe siècle, l’artillerie française avait adopté six calibres de bouches