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L’emploi des bouches à feu dans les siéges dut avoir pour premier résultat de faire supprimer partout les hourds et bretèches en bois, et dut contribuer à l’établissement des mâchicoulis et parapets crénelés de pierre portés sur corbeaux en saillie sur le nu des murs. Car les premières bouches à feu paraissent être souvent employées non-seulement pour lancer des pierres rondes en bombe, comme les engins à contre-poids, mais aussi des projectiles incendiaires, des barillets contenant une composition inflammable et détonante, telle que le feu grégeois décrit par Joinville, et connu dès le XIIe par les Arabes. À la fin du XIVe siècle et au commencement du XVe, les artilleurs emploient déjà les canons à lancer des boulets de pierre, de plomb ou de fer, horizontalement ; on ne s’attaque plus alors seulement aux créneaux et aux défenses supérieurs des murailles, mais on les bat en brèche à la base ; on établit de véritables batteries de siége. Au siége d’Orléans, en 1428, les Anglais jettent dans la ville, avec leurs bombardes, un nombre considérable de projectiles de pierre qui passent par-dessus les murailles et crèvent les toits des maisons. Mais du côté des Français on trouve une artillerie dont le tir est de plein fouet et qui cause de grandes pertes aux assiégeants ; un boulet tue le comte de Salisbury qui observait la ville par l’une des fenêtres des tournelles[1]. C’est un homme sorti du peuple, maître Jean, Lorrain, qui dirige l’artillerie de la ville.

Pour assiéger la ville, les Anglais suivent encore l’ancien système des bastilles de bois et des boulevards ; ils finissent par être assiégés à leur tour par ceux d’Orléans ; perdent successivement leurs bastilles qui sont détruites par le feu de l’artillerie française ; attaqués vigoureusement, ils sont obligés de lever le siége en abandonnant une partie de leur matériel ; car l’artillerie à feu de siége, comme tous les engins employés jusqu’alors, avait l’inconvénient d’être difficilement transportable, et ce ne fut guère que sous Charles VII et Louis XI que les pièces de siége, aussi bien que celles de campagne, furent montées sur roues ; on continua cependant d’employer les bombardes (grosses pièces, sortes de mortiers à lancer des boulets de

  1. « Durant les festes et service de Noël, jettèrent d’une partie et d’autre, très-fort et horriblement, de bombardes et canons ; mais surtout faisoit moult de mal un coulevrinier natif de Lorraine, estant lors de la garnison d’Orléans, nommé maistre Jean, qu’on disoit estre le meilleur maistre qui fust lors d’iceluy mestier, et bien le montra : car il avoit une grosse coulevrine dont il jettoit souvent, estant dedans les piliers du pont, près du boulevert de la Belle-Croix, tellement qu’il en tua et bléça moult d’Anglois. » Hist. et discours au vray du siége qui fut mis devant la ville d’Orléans (Orléans 1611).
    «… Celuy jour (pénultième du mois de février 1429), la bombarde de la cité pour lors assortie à la croche des moulins de la poterne Chesnau, pour tirer contre les tournelles, tira tant terriblement contre elles, qu’elle en abbatit un grand pan de mur. » Ibid.

    « Les François conclurent ledit chastel de Harecourt d’engin et du premier coup qu’ils jetèrent percièrent tout outre les murs de la basse-cour qui est moult belle à l’équipolent du chastel qui est moult fort. » Alain Chartier, pag. 162. Ann. 1449.