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on y mit longuement, et coûta grands deniers. Quand ils furent parfaits, et les gens dedans entrés qui à ceux du châtel devoient combattre, et ils eurent passé la moitié de la rivière, ceux du châtel firent descliquer quatre martinets[1] qu’ils avoient nouvellement fait faire, pour remédier contre les quatre kas dessus dits. Ces quatre martinets jetèrent si grosses pierres et si souvent sur ces kas, qu’ils furent bientôt débrisés, et si froissés que les gens d’armes et ceux qui les conduisoient ne se purent dedans garantir. Si les couvint retraire arrière, ainçois qu’ils fussent outre la rivière ; et en fut l’un effondré au fond de l’eau ; et la plus grande partie de ceux qui étoient dedans noyés ; dont ce fut pitié et dommage : car il y avoit de bons chevaliers et écuyers, qui grand désir avoient de leurs corps avancer, pour honneur acquerre[2]. » Le duc de Normandie avait juré de prendre Aiguillon, personne dans son camp n’osait parler de déloger, mais les comtes de Ghines et de Tancarville allèrent trouver le roi à Paris. « Si lui recordèrent la manière et l’état du siége d’Aiguillon, et comment le duc son fils l’avoit fait assaillir par plusieurs assauts, et rien n’y conquéroit. Le roi en fut tout émerveillé, et ne remanda point adonc le duc son fils ; mais vouloit bien qu’il se tînt encore devant Aiguillon, jusques à tant qu’il les eût contraints et conquis par la famine, puisque par assaut ne les pouvoit avoir. »

Ce n’est pas avec cette téméraire imprévoyance que procède le roi d’Angleterre ; il débarque à la Hague, à la tête d’une armée peu nombreuse, mais disciplinée ; il marche à travers la Normandie en ayant toujours le soin de flanquer le gros de son armée de deux corps de troupes légères commandées par des capitaines connaissant le terrain, qui battent le pays à droite et à gauche, et qui chaque soir viennent camper autour de lui. Sa flotte suit les côtes parallèlement à son armée de terre, de manière à lui ménager une retraite en cas d’échec ; il envoie après chaque prise dans ses vaisseaux les produits du pillage des villes. Il arrive aux portes de Paris, continue sa course victorieuse jusqu’en Picardie ; là il est enfin rejoint par l’armée du roi de France, la défait à Crécy, et se présente devant Calais. « Quand le roi d’Angleterre fut venu premièrement devant la ville de Calais, ainsi que celui qui moult la désiroit conquérir, il l’assiégea par grand’manière et de bonne ordonnance, et fit bâtir et ordonner entre la ville et la rivière et le pont de Nieulay hôtels et maisons, et charpenter de gros merrein, et couvrir les dites maisons, qui étoient assises et ordonnées par rues bien et faiticement, d’estrain[3] et de genêts, ainsi comme s’il dût là demeurer dix ou douze ans ; car telle étoit son intention qu’il ne s’en partiroit, par hiver ni par été, tant qu’il l’eût conquise, quel temps ni quelle poine il y dût mettre ni prendre. Et avoit en cette neuve ville du roi toutes choses nécessaires appartenant à un ost, et plus encore, et place ordonnée pour tenir marché le mercredi et le samedi ; et là étoient

  1. Engin à contre-poids propre à lancer de grosses pierres.
  2. Froissart, chap. 262, édit. Buchon.
  3. De chaume.