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mières habitations seigneuriales ; or la villa antique, habitation rurale, ne présentait pas dans son ensemble des dispositions symétriques ; la seconde était la nécessité, dans des habitations fortifiées la plupart du temps, de profiter des dispositions naturelles du terrain, de soumettre la position des bâtiments aux besoins de la défense, aux services divers auxquels il fallait satisfaire. La troisième, l’excessive étroitesse et l’irrégularité des terrains livrés aux habitations particulières dans des villes populeuses enserrées entre des murailles d’autant plus faciles à défendre, qu’elles offraient un moins grand périmètre. C’est ainsi que les lois de la symétrie, lois si ridiculement tyranniques de nos jours, n’avaient jamais exercé leur influence sur les populations du moyen âge, surtout dans des contrées où les traditions romaines étaient effacées. Mais quand au commencement du XVIe siècle, l’étude de l’antiquité et de ses monuments fit connaître un grand nombre de plans d’édifices romains où les lois de la symétrie sont observées ; les châteaux féodaux où les bâtiments semblent placés pêle-mêle suivant les besoins, dans des enceintes irrégulières ; les maisons, palais et monuments publics élevés sur des terrains tracés par le hasard, parurent aux yeux de tous des demeures de barbares. Avec la mobilité qui caractérise l’esprit français, on se jeta dans l’excès contraire, et on voulut mettre de la symétrie même dans les plans d’édifices qui, par leur nature et la diversité des besoins auxquels ils devaient satisfaire, n’en comportaient aucune. Nombre de riches seigneurs se firent élever des demeures dont les plans symétriques flattent les yeux sur le papier, mais sont parfaitement incommodes pour l’habitation journalière. Les maisons des bourgeois conservèrent plus longtemps leurs dispositions soumises aux besoins, et ce ne fut guère qu’au XVIIe siècle qu’elles commencèrent, elles aussi, à sacrifier ces besoins aux vaines lois de la symétrie. Une fois dans cette voie, l’architecture civile perdit chaque jour de son originalité. De l’ensemble des plans cette mode passa dans la disposition des façades, dans la décoration ; et il ne fut plus possible de juger dans un édifice, quel qu’il fût, du contenu par le contenant. L’architecture, au lieu d’être l’enveloppe judicieuse des divers services qui constituent une habitation, imposa ses lois, ou ce qu’on voulut bien appeler ses lois, aux distributions intérieures ; comme si la première loi en architecture n’était pas une soumission absolue aux besoins ! comme si elle était quelque chose en dehors de ces besoins ! comme si les formes purement conventionnelles qu’elle adopte avaient un sens, du moment qu’elles gênent au lieu de protéger ! Cependant l’architecture civile de la renaissance, surtout au moment où elle naît et commence à se développer, c’est-à-dire de 1500 à 1550, conserve presque toujours son caractère d’habitation ou d’établissement public, si franchement accusé pendant la période gothique. L’élément antique n’apporte guère qu’une enveloppe décorative ou un besoin de pondération dans les dispositions des plans ; et il faut dire que, sous ce double point de vue, l’architecture civile de la renaissance française se montre bien supérieure à celle adoptée en Italie. Les grands architectes français du XVIe siècle, les Philibert Delorme, les