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dans cet esprit que nos grands hôpitaux furent rebâtis pour centraliser une foule de maisons de refuge, des maladreries, des dotations, disséminées dans les grandes villes ; que l’hôpital central des Invalides fut fondé, que la Salpêtrière, maison de renfermement des pauvres, comme l’appelle Sauval, fut bâtie.

Le morcellement féodal ne pouvait seconder des mesures d’utilité générale ; le système féodal est essentiellement égoïste ; ce qu’il fait, il le fait pour lui et les siens, à l’exclusion de la généralité. Les établissements monastiques eux-mêmes étaient imbus, jusqu’à un certain point, de cet esprit exclusif, car, comme nous l’avons dit, ils tenaient aux habitudes féodales, comme propriétaires fonciers. Les ordres mendiants s’étaient élevés avec des idées complètement étrangères aux mœurs de la féodalité ; mais, devenus riches possesseurs de biens-fonds, ils avaient perdu de vue le principe de leur institution ; séparés, rivaux même, ils avaient cessé, dès la fin du XIIIe siècle, de concourir vers un but commun d’intérêt général ; non qu’ils ne rendissent, comme leurs prédécesseurs les bénédictins, d’éminents services, mais c’étaient des services isolés. Il appartenait à la centralisation politique, à l’unité du pouvoir monarchique, de créer de véritables établissements publics, non plus pour telle ou telle bourgade, pour telle ou telle ville, mais pour le pays. Ne nous étonnons donc point de ne pas trouver, avant le XVIe siècle, de ces grands monuments d’utilité générale, qui s’élèvent à partir du XVIIe siècle, et qui font la véritable gloire du siècle de Louis XIV. L’état du pays, avant cette époque, ne comportait pas des travaux conçus avec grandeur, exécutés avec ensemble, et produisant des résultats immenses. Il fallait que l’unité du pouvoir monarchique ne fût plus contestée pour faire passer un canal à travers trois ou quatre provinces ayant chacune ses coutumes, ses préjugés et ses priviléges ; pour organiser sur toute la surface du territoire un système de casernement des troupes, d’hôpitaux pour les malades, de ponts, d’endiguement des rivières, de défense des ports contre les envahissements de la mer. Mais si le pays gagnait en bien-être et en sécurité à l’établissement de l’unité gouvernementale, il faut convenir que l’art y perdait, tandis que le morcellement féodal était singulièrement propre à son développement. Un art officiel n’est plus un art, c’est une formule ; l’art disparaît avec la responsabilité de l’artiste.

L’architecture nationale, religieuse et monastique s’éteignit avec le XVe siècle, obscurément ; l’architecture civile avec la féodalité, mais en jetant un vif éclat. La renaissance, qui n’ajouta rien à l’architecture religieuse et ne fit que précipiter sa chute, apporta dans l’architecture civile un nouvel élément assez vivace pour la rajeunir. Jusqu’alors, dans les constructions civiles, on semblait ne tenir aucun compte de la symétrie, de l’ordonnance générale des plans. Plusieurs causes avaient éloigné les esprits de l’observation des règles que les anciens avaient généralement adoptées, autant que cela était raisonnable, dans l’ensemble de leurs bâtiments. La première était ce type de la villa romaine suivi dans les pre-