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flots de gens sans aveu qui se répandaient dans les rues, et donnaient fort à faire à la police municipale, royale ou seigneuriale. C’était là que les factions, qui se disputaient le pouvoir, allaient recruter leurs adhérents. L’Université renfermait un grand nombre de ces garnis dès le XIIe siècle, et ce fut en grande partie pour prévenir les abus et les désordres qui étaient la conséquence d’un pareil état de choses, que beaucoup d’établissements monastiques et des évêques fondèrent, sur la montagne Sainte-Geneviève, des collèges, dans l’enceinte desquels la jeunesse trouvait, en même temps que l’instruction, des demeures régulières et soumises à un régime quasi-clérical. Les cloîtres des cathédrales avaient précédé ces établissements, et, derrière leurs murs, les professeurs comme les écoliers pouvaient trouver un asile. Abeilard loue un logis au chanoine Fulbert, dans le cloître Notre-Dame.

Mais il est certain que dans les grandes villes, à une époque où les classes de la société étaient tellement distinctes, il devait se trouver une quantité de gens qui n’étaient ni nobles, ni religieux, ni soldats à solde, ni marchands, ni artisans, ni écoliers, ni laboureurs, et qui formaient une masse vagabonde, vivant quelque part ; sorte d’écume qu’aucun pouvoir ne pouvait faire disparaître, emplissant même les cités lorsque de longs malheurs publics avaient tari les sources du travail, et réduit à la misère un grand nombre de pauvres gens. Après les tristes guerres de la fin du XIVe siècle et du commencement du XVe, il s’était formé à Paris une organisation de gueux qui avait des ramifications dans toutes les grandes villes du royaume. Cette compagnie occupait certains quartiers de la capitale : la cour du Roi François, près du Ponceau ; la cour Sainte-Catherine, la rue de la Mortellerie, la cour Brisset, la cour Gentien, partie de la rue Montmartre, la cour de la Jussienne, partie de la rue Saint-Honoré, quelques rues des faubourgs Saint-Germain et Saint-Marceau et la butte Saint-Roch. Mais le siège principal de cette gueuserie était la cour des Miracles. « Elle consiste, dit Sauval[1], en une place d’une grandeur très-considérable, et en un très-grand cul-de-sac puant, boueux, irrégulier, qui n’est point pavé. Autrefois, il confinoit aux dernières extrémités de Paris… Pour y venir, il se faut souvent égarer dans de petites rues vilaines, puantes, détournées ; pour y entrer, il faut descendre une assez longue pente de terre tortue, raboteuse, inégale. J’y ai vu une maison de boue à demi enterrée, toute chancelante de vieillesse et de pourriture, qui n’a pas quatre toises en quarré, et où logent néanmoins plus de cinquante ménages, chargés d’une infinité de petits enfants légitimes, naturels et dérobés. On m’assura que dans ce petit logis et dans les autres, habitoient plus de cinq cents grosses familles entassées les unes sur les autres. Quelque grande que soit à présent cette cour, elle l’étoit autrefois beaucoup davantage : d’un côté elle s’étendoit jusqu’aux anciens ramparts, appellés aujourd’hui la rue Neuve-Saint-Sauveur : de

  1. Tome Ier, p. 510 et suiv.