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l’époque féodale, aux villæ romaines ; c’étaient des agglomérations de bâtiments disposés sur des rampants de coteaux presque toujours au midi, sans symétrie, et entourés d’enceintes, de palissades ou de fossés. Les résidences des grands ne différaient guère, pendant la période mérovingienne, des établissements religieux qui ne faisaient que perpétuer la tradition antique. « Quand, » dit M. de Caumont, « les villes gallo-romaines, inquiétées, puis pillées par les barbares, furent obligées de restreindre leur périmètre, de le limiter aux points les plus favorables à la défense ; quand le danger devint si pressant qu’il fallut sacrifier les plus beaux édifices, les démolir pour former de ces matériaux les fondements des murs de défense, de ces murs que nous offrent encore Sens, le Mans, Angers, Bourges, Langres et la plupart des villes gallo-romaines, alors il fallut comprimer les maisons entassées dans ces enceintes si étroites, comparativement à l’étendue primitive des villes ; la distribution dut en éprouver des modifications considérables ; les salles voûtées établies sous le sol et l’addition d’un ou deux étages au-dessus du rez-de-chaussée durent être, au moins dans certaines localités, les conséquences de cette condensation des populations urbaines. » Dans les grandes cités, des édifices romains avaient été conservés, toutefois : les curies, les cirques, les théâtres, les thermes étaient encore utilisés sous les rois de la première race ; les jeux du cirque n’avaient pas cessé brusquement avec la fin de la domination romaine ; les nouveaux conquérants même se piquaient de conserver des usages établis par une civilisation avancée ; et telle était l’influence de l’administration de l’empire romain, qu’elle survivait aux longs désastres des Ve et VIe siècles. Dans les villes du midi et de l’Aquitaine surtout, moins ravagées par le passage des barbares, les formes de la municipalité romaine étaient maintenues ; beaucoup d’édifices publics restaient debout ; mais, au nord de la Loire, les villes et les campagnes, sans cesse dévastées, n’offraient plus un seul édifice romain qui pût servir d’abri ; les rois francs bâtissaient des villæ en maçonnerie grossière et en bois ; les évêques, des églises et des monastères ; quant à la cité, elle ne possédait aucun édifice public important, ou du moins il n’en reste de traces ni dans l’histoire, ni sur le sol. Les villæ des campagnes, les seuls édifices qui, jusqu’à l’époque carlovingienne, aient eu quelque valeur, ressemblaient plutôt à de grandes fermes qu’à des palais ; elles se trouvent décrites dans le capitulaire de Charlemagne (de Villis) ; le sol de la Belgique, du Soissonnais, de la Picardie, de la Normandie, de l’Île-de-France, de l’Orléanais, de la Touraine et de l’Anjou, en était couvert. Les villæ se composaient presque toujours de deux vastes cours avec des bâtiments alentour, simples en épaisseur, n’ayant qu’un rez-de-chaussée ; on communiquait aux diverses salles par un portique ouvert ; l’une des cours était réservée aux seigneurs, c’était la villa urbana ; l’autre aux colons ou esclaves chargés de l’exploitation : on l’appelait villa rustica[1].

  1. M. de Caumont, ibid., p. 14 et suiv.