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le loisir de se dévouer à l’enseignement, de manière à pouvoir rivaliser avec les écoles établies dans les cloîtres des grandes cathédrales sous le patronage des évêques, et surtout à Paris sur la montagne Sainte-Geneviève.

Au commencement du XIIIe siècle donc, l’institut bénédictin avait terminé sa mission active ; c’est alors qu’apparaît saint Dominique, fondateur de l’ordre des frères Prêcheurs. Après avoir défriché le sol de l’Europe, après avoir jeté au milieu des peuples les premières bases de la vie civile, et répandu les premières notions de liberté, d’ordre, de justice, de morale et de droit, le temps était venu pour les ordres religieux de développer et guider les intelligences, de combattre par la parole autant que par le glaive les hérésies dangereuses des Vaudois, des Pauvres de Lyon, des Ensabattés, des Flagellants, etc., et enfin des Albigeois qui semblaient les résumer toutes. Les frères Prêcheurs acquirent bientôt une immense influence, et les plus grandes intelligences surgirent parmi eux. Jean le Teutonique, Hugues de Saint-Cher, Pierre de Vérone, Jean de Vicence, saint Hyacinthe, et saint Thomas d’Aquin, remplirent l’Europe de leurs prédications et de leurs écrits. C’est aussi vers ce temps (1209) que saint François d’Assise institua l’ordre des frères Mineurs. L’établissement de ces deux ordres, les Dominicains et les frères Mineurs : les premiers adonnés à la prédication, au développement de l’intelligence humaine, au maintien de la foi orthodoxe, à l’étude de la philosophie ; les seconds prêchant la renonciation aux biens terrestres, la pauvreté absolue, était une sorte de réaction contre l’institution quasi-féodale des ordres bénédictins. En effet, dans sa règle, saint François d’Assise, voulant revenir à la simplicité des premiers apôtres, n’admet pas de prieur, tous les frères sont mineurs, ne doivent rien posséder, mais, au contraire, mendier pour les pauvres et pour subvenir à leurs besoins ; il prétendait « amener le riche à faire don de ses biens aux pauvres, pour acquérir le droit de demander lui-même l’aumône sans rougir, et relever ainsi l’état de pauvreté[1]. » Mais saint François n’était pas mort que son ordre s’était déjà singulièrement écarté de cette simplicité et de cette pauvreté primitives ; et dès le XIIIe siècle, les frères mineurs élevèrent des monastères qui par leur richesse ne le cédaient en rien aux abbayes des ordres bénédictins. Saint Louis avait pris en grande affection les frères prêcheurs et mendiants ; de son temps même, cette extrême sollicitude pour les disciples de saint Dominique, de saint François d’Assise, pour les hermites augustins et les carmes, qui jusqu’alors étaient à peine connus, fut l’objet de satires amères. Comme politique saint Louis était certainement disposé à donner aux nouveaux ordres une prédominance sur les établissements trop indépendants de Cluny et de Cîteaux, et il trouvait chez les frères prêcheurs une arme puissante pour vaincre ces hérésies populaires nées au XIIe siècle avec tous les caractères d’un soulèvement des classes inférieures contre le pouvoir clérical et séculier. Saint Louis fit bâtir

  1. Saint François d’Assises et saint Thomas d’Aquin, par E. J. Delécluze, t. Ier, p. 278 et suiv.