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bares du moyen-âge ; nous devrons nous borner à indiquer des points saillants, généraux, qui seront comme les jalons d’une route à tracer.

Ainsi que nous l’avons dit, le système politique et administratif emprunté par Charlemagne aux traditions romaines, avait pu arrêter le désordre sans en détruire les causes. Toutefois nous avons vu comment ce prince jetait, en pleine barbarie, des éléments de savoir. Pendant ce long règne, ces semences avaient eu le temps de pousser des racines assez vivaces pour qu’il ne fût plus possible de les arracher. Le clergé s’était fait le dépositaire de toutes les connaissances intellectuelles et pratiques. Reportons-nous par la pensée au IXe siècle, et examinons un instant ce qu’était alors le sol des Gaules et d’une grande partie de l’Europe occidentale. La féodalité naissante mais non organisée, la guerre, les campagnes couvertes de forêts en friche, à peine cultivées dans le voisinage des villes. Les populations urbaines sans industrie, sans commerce, soumises à une organisation municipale décrépite, sans lien entre elles, des villæ chaque jour ravagées, habitées par des colons ou des serfs dont la condition était à peu près la même, l’empire morcelé, déchiré par les successeurs de Charlemagne et les possesseurs de fiefs. Partout la force brutale, imprévoyante. Au milieu de ce désordre, seule, une classe d’hommes n’est pas tenue de prendre les armes ou de travailler à la terre, elle est propriétaire d’une portion notable du sol ; elle a seule le privilège de s’occuper des choses de l’esprit, d’apprendre et de savoir ; elle est mue par un admirable esprit de patience et de charité ; elle acquiert bientôt par cela même une puissance morale contre laquelle viennent inutilement se briser toutes les forces matérielles et aveugles. C’est dans le sein de cette classe, c’est à l’abri des murs du cloître que viennent se réfugier les esprits élevés, délicats, réfléchis ; et chose singulière, ce sera bientôt parmi ces hommes en dehors du siècle que le siècle viendra chercher ses lumières. Jusqu’au XIe siècle cependant ce travail est obscur, lent ; il semble que les établissements religieux, que le clergé, sont occupés à rassembler les éléments d’une civilisation future. Rien n’est constitué, rien n’est défini, les luttes de chaque jour contre la barbarie absorbent toute l’attention du pouvoir clérical, il paraît même épuisé par cette guerre de détails. Les arts se ressentent de cet état incertain, on les voit se traîner péniblement sur la route tracée par Charlemagne, sans beaucoup de progrès ; la renaissance romaine reste stationnaire, elle ne produit aucune idée féconde, neuve, hardie, et sauf quelques exceptions dont nous tiendrons compte, l’architecture reste enveloppée dans son vieux linceul antique. Les invasions des Normands viennent d’ailleurs rendre plus misérable encore la situation du pays ; et comment l’architecture aurait-elle pu se développer au milieu de ces ruines de chaque jour, puisqu’elle ne progresse que par la pratique ? Cependant ce travail obscur de cloître allait se produire au jour.

développement de l’architecture en France du xie au xvie siècle. — des causes qui ont amené son progrès et sa décadence. — des différents styles propres à chaque province. Le XIe siècle commence et avec lui