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habiter les thermes, les ruines des palais ou des villæ romaines. Si lorsque l’ouragan barbare est passé, lorsque les nouveaux maîtres du sol commencent à s’établir on bâtit des églises ou des palais, on reproduit les types romains, mais en évitant d’attaquer les difficultés de l’art de bâtir. Pour les églises, la basilique antique sert toujours de modèle ; pour les habitations princières, c’est la villa gallo-romaine que l’on cherche à imiter. Grégoire de Tours décrit, d’une manière assez vague d’ailleurs, quelques-uns de ces édifices religieux ou civils.

Il ne faut pas croire cependant que toute idée de luxe fût exclue de l’architecture ; au contraire les édifices, le plus souvent bâtis d’une façon barbare, se couvrent à l’intérieur de peintures, de marbres, de mosaïques. Ce même auteur, Grégoire de Tours, en parlant de l’église de Clermont-Ferrand, bâtie au Ve siècle par saint Numatius, huitième évêque de ce diocèse, fait une peinture pompeuse de cet édifice. Voici la traduction de sa description. « Il fit (saint Numatius) bâtir l’église qui subsiste encore, et qui est la plus ancienne de celles qu’on voit dans l’intérieur de la ville. Elle a cent cinquante pieds de long, soixante de large, et cinquante pieds de haut dans l’intérieur de la nef jusqu’à la charpente ; au-devant est une abside de forme ronde, et de chaque côté s’étendent des ailes d’une élégante structure. L’édifice entier est disposé en forme de croix ; il a quarante-deux fenêtres, soixante-dix colonnes, et huit portes… Les parois de la nef sont ornées de plusieurs espèces de marbres ajustés ensemble. L’édifice entier ayant été achevé dans l’espace de douze ans…[1] » C’est là une basilique antique avec ses colonnes et ses bas côtés (ascellæ), sa camera que nous croyons devoir traduire par charpente, avec d’autant plus de raisons que cette église fut complètement détruite par les flammes lorsque Pépin enleva la ville de Clermont au duc d’Aquitaine Eudes, à ce point qu’il fallut la rebâtir entièrement. Dans d’autres passages de son Histoire, Grégoire de Tours parle de certaines habitations princières dont les portiques sont couverts de charpentes ornées de vives peintures.

Les nouveaux maîtres des Gaules s’établirent de préférence au milieu des terres qu’ils s’étaient partagées ; ils trouvaient là une agglomération de colons et d’esclaves habitués à l’exploitation des terres, une source de revenus en nature faciles à percevoir, et qui devaient satisfaire tous les désirs d’un chef germain. D’ailleurs, les villes avaient encore conservé leur gouvernement municipal respecté en grande partie par les barbares. Ces restes d’une vieille civilisation ne pouvaient que gêner les nouveaux venus, si forts et puissants qu’ils fussent. Des conquérants étrangers n’aiment pas à se trouver en présence d’une population qui, bien que soumise, leur est supérieure sous le rapport des mœurs et de la civilisation, c’est au moins une contrainte morale qui embarrasse des hommes habitués à une vie

  1. Hist. ecclés. des Francs, par G. F. Grégoire, évêque de Tours, en 10 liv. rev. et collat. sur de nouv. manus., et traduite par MM. J. Guadet et Taranne. À Paris, 1836 ; chez J. Renouard. T. I, p. 178. (Voy. Éclairciss. et Observ.)