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Un chaud parfum émane du sein de cette fleur humaine qui embaume comme une savane et c’est une senteur qui brûle, enivre et ravit. Le timbre de la voix de miss Alicia, lorsqu’elle parle, est si pénétrant, les notes de ses chants ont des inflexions si vibrantes, si profondes, que, soit qu’elle récite un passage tragique ou quelques nobles vers, soit qu’elle chante quelque magnifique arioso, je me surprends toujours à frémir malgré moi d’une admiration qui est, ainsi que vous allez le voir, d’un ordre inconnu.


XIII

Ombre


« Un rien… »
Locution humaine.


À Londres, pendant les fêtes de la cour, les plus radieuses jeunes filles de notre nid de cygnes passèrent inaperçues de mes yeux. Tout ce qui n’était pas la présence d’Alicia ne m’était que pénible : ― J’étais ébloui.

Toutefois, et depuis les premiers jours, je résistais vainement à l’obsession d’une étrange évidence qui m’apparaissait en cette jeune femme. Je voulais douter du sentiment que ses paroles et ses actes me laissaient d’elle à chaque instant ! Je m’accusais d’inintelligence plutôt que d’admettre leur signification et j’avais recours à toutes les circonstances atténuantes que fournit la raison pour en détruire l’importance en ma pensée. ― Une femme ! N’est-ce pas une enfant troublée de