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ET SUR LA POÉSIE LYRIQUE.

par l’invasion républicaine de la France ; c’est son indignation, sa fureur de résistance, quand il craint pour l’Angleterre la même menace et la même profanation.

Coleridge n’est pas pour nous le grand lyrique de l’antiquité, le modérateur des âmes par l’harmonie. Il est plein de trouble et de passion : il a quelque chose de cette fougue effrénée qu’à certaines époques le talent affecte de se donner par système. S’il est permis de rappeler ici une habitude de sa vie qui, tout en excitant sa verve, affaiblit et consuma sa raison, il ressemblait dans son désordre poétique à ces soldats des avant-gardes turques enivrés d’opium, s’élançant avec une audace qui tenait du délire, et tombant vainqueurs, mais épuisés. Par là Coleridge, très-admiré de son temps, surtout dans son pays, poëte extraordinaire plutôt que grand poëte, assorti dans sa maladie même aux imaginations effarées par la guerre et la Terreur, a perdu dans l’estime d’une époque plus calme ; mais il est encore un témoin éclatant du passé, l’image d’une grande puissance exercée sur les âmes, l’exemple salutaire d’un retour à la justice et à la raison, inspiré par le spectacle même des abus de la force et des iniquités de la conquête.

À ce titre, essayons de traduire la protestation, plus anglaise encore que cosmopolite, que lui inspira l’invasion de la Suisse en 1798. Le poëte est là tout entier dans ses rêves de liberté sans limites, sa haine de la tyrannie sous toutes les formes, les démentis de son es-