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ESSAIS SUR LE GÉNIE DE PINDARE

délire ; et ne nous plaignons pas qu’au seizième siècle le génie de la Renaissance ait épargné cet alliage à la raison et au goût. Ainsi se prépara pour l’avenir une grande et sévère école, qui devait un jour égaler l’antiquité par de libres imitations et de fécondes différences. Mais bien de maladroits efforts se consumaient dans la première épreuve. L’érudition surchargeait les esprits, avant de les inspirer. L’admiration même nuisait à la liberté du génie ; et l’instinct poétique, au lieu de s’animer par la passion présente, chancelait confondu sous l’amas des souvenirs. De là ces erreurs de goût, cette fausse poésie et ces faux jugements d’un siècle, parfois si puissant par le naturel et la vigueur qu’il portait dans la philosophie, la critique savante, la controverse, l’histoire. Quelle beauté d’éloquence et de style, quel tour original d’expression n’éclate point déjà dans notre Montaigne ! où la langue française a-t-elle plus d’imagination vraie et de hardiesse heureuse ! Ne semble-t-il pas étrange que, tout près de ce grand écrivain, Ronsard ait passé pour un si grand poëte, et que Montaigne lui-même l’ait cru et nous dise « que les Français de son temps avaient monté la poésie au plus haut degré, où elle sera jamais, et que Ronsard et du Bellay ne sont guère éloignés de la perfection antique. »

Cette singulière méprise ne peut, je crois, s’expliquer à la gloire de Ronsard ni se justifier par aucune théorie sur le génie poétique, la différence des temps et