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ET SUR LA POÉSIE LYRIQUE.

en invoquant la Trinité sainte, Dieu le Père, la parole divine et l’Esprit-Saint, le poëte semble tenir à la doctrine de ces sectaires à peine chrétiens qui donnaient place dans leur cosmogonie à deux puissances allégoriques ou mystiques, l’Abîme et le Silence, Βυθὸς καὶ Σιγή.

Par le langage même, par une couleur d’expression toute païenne, Synésius, sous une réminiscence involontaire, s’éloigne encore plus du christianisme qu’il professe. Le mot d’orgie, ὄργια, qu’employait le prêtre idolâtre aux fêtes de Bacchus, est celui même que l’évêque poëte applique aux béatitudes où il espère être admis par le Christ ; enfin sa morale, sans être accusable, est toute séculière, toute profane, et moins élevée, sur un point, que le stoïcisme. C’est le goût du bonheur terrestre, du repos honoré, de l’heureuse médiocrité, le vœu de l’épicurien Horace ; c’est la crainte et l’aversion de la pauvreté, que bénissait l’Évangile ; c’est sans doute aussi la crainte des troubles et des vices, mais par sobriété philosophique et par sagesse mondaine.

On peut le croire : l’âme contemplative, la noble imagination si charmée des arts de la Grèce avait encore pénétré bien peu dans la sévérité du dogme chrétien, lorsque lui échappaient ces vers.

Reste pour nous le spectacle même de l’état des âmes décelé par cette poésie : la ferveur dans une foi confuse encore, le jeu de la fantaisie dans l’abstraction