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condensée de versification était-elle artificielle à son gré , trop éloignée en tout cas de la poésie «prophétique» à laquelle il a toujours tendu. Aussi est-ce surtout par le Journal d’un Poète qu’ont été connues les pièces de ce genre. Vigny date du mois de mars 1836, après l’exécution de Fieschi et de ses deux complices le 19 février, des vers où la versatilité de la grande ville est flagellée durement, et avec moms de merci que dans Paris :


L’ESPRIT PARISIEN.



Esprit parisien ! démon du Bas-Empire !
Vieux sophiste épuisé qui bois, toutes les nuits,
Comme un vin dont l’ivresse engourdit tes ennuis,
Les gloires du matin, la meilleure et la pire ;

Froid niveleur, moulant, aussitôt qu’il expire,
Le plâtre d’un grand homme ou bien d’un assassin,
Leur mesurant le crâne, et, dans leur vaste sein,
Poussant jusques au cœur ta lèvre de vampire ;

Tu ris ! — Ce mois joyeux t’a jeté trois par trois
Les fronts guillotinés sur la place publique.
— Ce soir, fais le chrétien, dis bien haut que tu crois.

À genoux ! roi du mal, comme les autres rois !
Pour que la Charité, de son doigt angélique,
Sur ton front de damné fasse un signe de croix.


La politique extérieure de la Monarchie de Juillet le ramène à l’ancien sujet de Suzanne, qui sert de thème à ce sonnet daté du 14 mai 1837 :

DANIEL.

Comme les deux vieillards qui poursuivaient Suzanne, Pierre le chasseur d’ours et George le marchand Te font la cour, ô France ! et leur esprit méchant, N’ayant pu te séduire, à grands cris te profane. Ils veulent qu’à la mort le juge te condamne Pour te fouler aux pieds du levant au couchant, Pour effacer ton nom et partager ton champ. Et se passer entre eux l’impure courtisane.