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ALFRED DE VIGNY

seulement de quelques élus de son cœur. « Personne, a dit M. Jules Sandeau[1], n’a vécu dans sa familiarité, pas même lui. » L’observation, qui a fait sourire, ne manque pas de vérité. On peut l’accepter pour Alfred de Vigny malgré son tour épigrammatique. Ennemi de cette mêlée de relations banales si fréquentes de notre temps, comme des propos médiocres, indiscrets, vulgaires qu’elles engendrent, la familiarité avait pour lui quelque chose de trivial et presque d’ignoble par où elle le blessait. Ses amis ont connu le charme et l’abandon spirituel de son intimité ; mais il est vrai qu’en général il s’enveloppait d’une haute réserve comme d’une armure d’acier poli contre les bas contacts des hommes, et je crois bien qu’il gardait encore son armure quand il était seul, pour se défendre de la familiarité de vulgaires pensées. Sa distinction manquait un peu de bonhomie ? Soit. S’il y avait quelque excès dans ce goût du noble, dans ce respect de soi-même, il n’est pas à craindre que cette particularité de sa nature devienne contagieuse.

Ces notes révélatrices elles-mêmes ont gardé le grand air qui lui était naturel, l’attitude et l’altitude de l’homme.

  1. Dans son discours à l’Académie française, en réponse à M. Camille Doucet.