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JOURNAL D’UN POÈTE

» Un critique, poëte lui-même, de cette pléiade romantique qui scintillait au ciel de 1830, M. Théophile Gautier, comparait l’autre jour poétiquement la gloire sereine mais peu bruyante d’Alfred de Vigny à ces astres blancs et doux de la Voie lactée qui brillent moins que d’autres étoiles, parce qu’ils sont placés plus haut et plus loin. Oui, Alfred de Vigny avait placé haut son idéal. C’était, à vrai dire, un enfant du XVIIIe siècle, fort sceptique en matière de religion. Mais il avait retenu de sa naissance, de son éducation, de sa vie militaire, il tenait surtout de lui-même un sentiment qui fut comme l’étoile fixe de sa vie et lui tint lieu de croyances, une religion grave et mâle, sans symboles et sans images, la religion de l’Honneur, qui ne vacille pas plus que la foi dans l’âme capable de la sentir. « L’honneur ou la pudeur virile, » écrit-il, « c’est la conscience, mais la conscience exaltée, c’est le respect de soi-même et de la beauté de sa vie porté jusqu’à la plus pure élévation, jusqu’à la passion la plus ardente. » Celui qui pensait ainsi devait considérer volontiers sa vocation poétique comme une mission et porter l’art sur les hauteurs. Mais, chose digne de remarque, tandis que les fils de Chateaubriand, Lamartine en tête, se livraient en croyants aux effusions du lyrisme