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PRÉFACE

ment décrié et sur le compte duquel devaient circuler en Espagne de plaisantes histoires. Mais, ou le conteur n’en connaissait aucune, ou, mal en train ce jour-là, s’est dépité : le fait est qu’il a tourné court, brusquement, après quelques lignes, interrompu sa narration et passé à autre chose.

Le morceau le plus long de cette seconde partie du livre est le récit d’un faux miracle, opéré par un colporteur de bulles ou d’indulgences, afin d’écouler sa pieuse marchandise, qui, en un lieu du diocèse de Tolède, où les esprits étaient tièdes, n’avait pas trouvé preneur. Ici le cas est différent ; il faut reprocher à l’écrivain espagnol, non pas d’avoir été trop bref, mais d’avoir spolié un confrère, tout au moins de s’être, sans les formalités d’usage, un peu trop prévalu de l’œuvre d’autrui. Comme ce chapitre passe couramment pour aussi original que les autres et que personne ne semble avoir noté sa source directe, il nous sera permis d’insister quelque peu et de rendre à qui de droit son bien.

Massuccio de Salerne, le célèbre noveliero du xve siècle, relate dans son Novellino (part. I, nov. 4) l’histoire édifiante d’un frère mineur, Girolamo da Spoletto, qui, ayant trouvé quelque part le corps merveilleusement conservé d’un chevalier, s’empare de plusieurs membres du défunt dans la pensée de les faire passer pour de saintes reliques, s’associe un compère, Frate Mariano, qu’il déguise en dominicain, et commence avec lui une tournée en pays dévot, comptant, sans trop de frais, y triompher de la crédulité des bonnes gens. À Sorrente, où une tempête l’oblige à débarquer, il obtient de l’évêque du lieu l’autorisation d’exhiber ses fausses reliques et de prêcher au peuple dans la cathédrale. Après avoir fait signe à son compère, Frère Girolamo entre donc à l’église, monte en chaire et y débite son sermon.