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de contrées dont elle soit séparée par de grandes oppositions physiques. Elle est située hors de portée de ces contrastes fortement tranchés qu’engendrent la steppe ou le désert. Par les conformités de nature qui l'unissent aux contrées continentales voisines, elle a grandi entre des peuples de civilisation analogues. Cela est une garantie. La France a échappé ainsi à des catastrophes qui ailleurs ont interrompu la vie historique, en Espagne et dans l’Europe orientale. Mais cela est aussi une limitation. Un État qui parvient à se constituer solidement au contact de deux régions physiques très différentes, comme le sont les domaines de vie agricole et de la vie pastorale, acquiert des chances presques indéfinies d’extension ; ainsi la Russie, les États-Unis et même la Chine. De telles perspectives territoriales manquent à la France ; les possibilités d’expansion dans l’Europe fortement individualisée qui l’avoisine se réduisent à une zone restreinte. La mer, il est vrai, peut lui en offrir d’autres ; mais la France rencontre là d’autres genres de concurrence.


III PRÉCOCITÉ ENTRE LES CONTRÉES CONTINENTALES

3° Il y a pourtant un caractère qui la distingue entre les contrées continentales de l’Europe : c’est celui qu’on peut résumer dans le mot de précocité. La France présente deux sortes de précocité : l’une qui tient au climat et à la variété des ressources du sol. C’est elle qui a suscité chez nous l’épanouissement de nombreuses petites sociétés locales. Il est peu de parties de la France qui ne gardent les traces d’un long développement autonome né des lieux mêmes.

L’autre genre de précocité tient aux facilités d’établissement, de circulation, de défense, à tout à ce qui hâte la vie générale. Ces facilités s’offraient ici en abondance. Une plus grande aisance que dans l’Europe centrale préside aux groupement des peuples. De nombreux vestiges d’anciens établissements, d’enceintes murées, aussi bien en Lorraine et en Bourgogne que dans le Quercy, montrent l’importance spéciale qu’ont eue jadis les plateaux calcaires, si harmonieusement distribués sur notre territoire. Les calcaires jurassiques, qui couvrent environ 100 000 kilomètres carrés, dessinent, autour du Bassin de Paris et du Massif central une double boucle en forme de 8, signalée par Élie de Beaumont comme un des traits caractéristiques de la France. Ces terrains ne sont pas les plus fertiles, mais ils ont permis aux établissements humains d’acquérir de bonne heure fixité et force de résistance, de communiquer librement entre eux. La pierre de construction y abonde ; le drainage, qui s’opère naturellement grâce à la perméabilité des roches, y rend l’air salubre ; l’érosion y creuse des vallées unies, au tournant desquelles des plateaux découpés se dressent comme des forteresses naturelles, sites d’oppida. La plupart des grandes et anciennes routes qui enlacent nos principaux massifs ont suivi, suivent encore ces plateaux calcaires.

Expression de la nature de la France, cette précocité a laissé des traces durables. Elle influe sur les manifestations ultérieures de la vie ; elle nous suit dans l’histoire. Si la cimentation des diverses contrées de la Gaule n’avait